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reportage

14 juin 2024: Au cœur de la grève féministe lausannoise

14 juin 2024 au coeur de la greve feministe de lausanne

Le 14 juin 2024, les tenues violettes et les slogans accrocheurs étaient au rendez-vous à Lausanne lors de la grève féministe.

© 24HEURES/MARIE-LOU DUMAUTHIOZ

Une heure avant le départ du cortège de la grève féministe à Lausanne le 14 juin 2024, la place de la Riponne commence doucement à se remplir. À proximité, j'observe des groupes de femmes, parées de violet – couleur symbolique des luttes féministes – en train de boire des verres en terrasse ou de rédiger leurs derniers slogans sur des pancartes.

La fontaine dressée sur l’esplanade apparaît comme le point de rencontre des participantes. Il y a de l'effervescence dans l’air, même si le calme est encore là. Dans les alentours, un groupe d’adolescentes discutent et jettent des regards curieux un peu partout: serait-ce une première pour elles? «Oui!», répond une majorité du groupe, alors que pour une autre, qui a motivée ses copines, il s’agit de la deuxième. Enfin, plus ou moins: «J’avais rejoint le cortège en route et j’avais adoré ça, explique-t-elle. Je suis contente de m’être organisée pour participer car c’est important de combattre les discriminations que nous vivons». Une fille du groupe ajoute avoir été motivée par sa mère, «très féministe», qui ne pouvait malheureusement pas venir.

Un peu plus loin, je croise le Collectif Féministe Valais qui n’a pas organisé de manifestation dans son canton, mais a fait le trajet en groupe jusqu’à Lausanne: «l’important c’est d’être toutes ensemble pour nous montrer et revendiquer l’égalité», évoque Nina van Tiel, «le mouvement est intercantonal, c’est bien de le souligner en se soutenant parmi», ajoute une autre membre.

Le Collectif Féministe Valais. © SONIA IMSENG

Le vendredi 14 juin 2024, en Suisse, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées ainsi pour davantage d’égalité entre les hommes et les femmes. Il s'agissait de la 5e édition consécutive depuis un nouveau souffle en 2019. Une première mobilisation historique avait eu lieu en 1991, rassemblant un demi-million de personnes. À Lausanne, les organisatrices ont annoncé 20’000 manifestantes en 2024. Et de son côté, la police a évoqué 18’000 participantes.

Danse, discours et revendications

Justement, peu avant 18 h 30, la Riponne est désormais pleine et les regards se tournent vers une performance prévue par l'école de danse Booty Therapy, devant le Palais de Rumine. «On souhaite revendiquer notre place dans l’espace public, sans peur, et se réapproprier nos corps», lance Julia, instructrice, avant de débuter. Les femmes présentes commencent timidement à danser et sont tout de suite acclamées. Leur bassin se met en mouvement avec sensualité et dégage force, confiance et joie. Elles sont encouragées par la foule. «Ça fait tellement du bien de pouvoir s’exprimer ainsi dans l’espace public, on se sent moins seule et il y a une belle et puissante sororité entre nous», témoigne Naomie Margot, après avoir dansé avec le groupe.

Les danseuses de Booty Therapy. © 24HEURES/MARIE-LOU DUMAUTHIOZ

Quelques discours ont encore lieu avant le grand départ. «Pour la cinquième année consécutive, nous allons à nouveau faire trembler les rues de Lausanne», lance Tamara Knezevic, membre du collectif Grève Féministe Vaud et secrétaire syndicale chez Unia Vaud à la foule, qui répond par des cris et des applaudissements.

Puis, différentes revendications sont mises en avant comme de meilleures conditions salariales, mais aussi des retraites dignes pour les femmes, voilà une partie des thématiques visibles cette année. Le message est très clair concernant la réforme de la LPP, soumise en votation en septembre 2024, les collectifs romands de la grève féministe appellent à voter «non». De nombreux badges sont d’ailleurs distribués à ce propos.

Au niveau national, UNIA a organisé une conférence de presse le matin du 14 juin sur la Place fédérale pour revendiquer un salaire équitable de 5000 francs par mois. L’omniprésence des femmes parmi les bas salaires et les nombreuses discriminations à laquelle les travailleuses sont exposées ont été dénoncées. «Près de la moitié des femmes au bénéfice d’un apprentissage gagnent moins», ont précisé les syndicalistes d’Unia dans leur communiqué de presse.

L’actualité internationale a eu un impact. Un bloc du cortège a été prévu en soutien à la Palestine afin de dénoncer la situation dramatique que vivent les femmes à Gaza. La montée de l'extrême droite en Europe est tout autant critiquée, avec la poussée actuelle du Rassemblement national en France. Le mouvement #MeToo est tout aussi présent: la fin des violences sexuelles et sexistes et des féminicides continue d’être exigée.

Une autre partie du défilé, queer, dénonce l’homophobie et la transphobie. Nous sommes bel est bien dans une convergence des luttes. Des revendications intersectionnelles qui seront évoquées durant la manifestation, lancée peu après 18 h 30.

Foule éclectique

Durant le trajet, je vois en effet de nombreuses pancartes avec différents messages en faveur de l’égalité: «Solidarité avec les femmes du mon entier», «travail égal = salaire égal». La colère se fait sentir: «ras le viol», «agresseur, à ton tour d’avoir peur», peut-on lire. «Femme, vie, liberté», est écrit sur certaines pancartes, en référence à la révolution des femmes en Iran. L’humour est aussi au rendez-vous: «Je veux une raclette pas une raclée», retrouve-t-on sur un grand panneau.

La foule est, comme chaque année, très éclectique. Je croise des familles, qui sont venues en poussette pour leurs enfants en bas âge, mais aussi les plus grands. De nombreuses petites filles ainsi que des jeunes femmes - symboles de la nouvelle génération - montrent avec entrain leur volonté de faire bouger les choses.

Il y a également des seniors et de nombreux hommes:

«Le patriarcat fait beaucoup de mal à tout le monde.

Et il est essentiel d’utiliser notre voix pour montrer notre soutien aux femmes et combattre les discriminations qu’elles vivent au quotidien», témoigne Nathan, venu avec sa copine.

Toutes et tous crient les slogans habituels: «Et la rue, elle est à qui? Elle est à nous», peut-on notamment entendre. «Fières, vénères et pas prêtes de se taire», scandent tout aussi fort les participantes. De nouveaux slogans sont clamés avec le cœur: «Gaza, gaza, Lausanne est avec toi». En plus du violet, de nombreuses personnes arborent d’ailleurs des keffiehs (coiffe traditionnelle moyen-orientale), pour montrer leur solidarité avec le peuple palestinien. Le collectif Camp Unil Palestine Lausanne, derrière l’occupation de l'Université de Lausanne en mai dernier, est présent.

La musique résonne également, grâce aux différents chars, même s’ils sont moins nombreux que d’autres années. Ces derniers font danser la foule lors des haltes avec tout un panel de chansons. «Résiste», de France Gall est notamment chantonnée à un certain moment. Des personnes jouent du tambour au milieu de la foule. Le cortège vibre à travers cette belle et puissante sonorité qui rassemble avec joie les grévistes.

Arrivée à la gare, je remarque que l’avenue est moins remplie que l'année précédente, mais la présence reste importante, comme ailleurs en Suisse ce 14 juin 2024. Entre 25’000 et 30’000 personnes étaient à Genève (entre 6000 et 8000 selon la police), 35’000 à Berne selon les organisatrices et à Zurich, il y avait plus de 10’000 personnes, selon la police municipale. Elisabeth Fannin, porte-parole d’Unia évoque de son côté un «grand succès». Elle parle de «nombreuses actions menées par des femmes dans les entreprises, les quartiers, les écoles, et dans la rue. Par exemple, à Genève et à Sierre, les employées de blanchisserie ont prolongé leurs pauses et à Brigue, les employées de la restauration ont attiré l'attention sur le sexisme ambiant dans leur branche».

© 24HEURES/MARIE-LOU DUMAUTHIOZ

Fatigue et émotion

Revenons à Lausanne, où le cortège violet se termine à Montbenon, aux alentours de 21 heures et où les émotions se font sentir: «Je suis encore toute émue de nous voir toutes réunies ainsi pour nos droits, mais je suis un peu déçue de voir qu’il y ait eu moins de monde que certaines années», évoque Alice*. Elle se réjouit de voir l’élan de solidarité avec la Palestine constaté cette année:

«Quand on pense à la situation des femmes à Gaza, c’est tout à fait le lieu pour en parler. Nous sommes solidaires et c’est très important de ne pas se diviser pour que notre combat existe.»

Je peux encore admirer tel un défilé l’arrivée de toutes les manifestantes et la fin du cortège dans un dernier souffle militant. Sur les marches du Palais de Justice de Montbenon, des banderoles sont déployées avant que des assises féministe aient lieux. Puis, la musique et la fête vont prendre place avec un set des Djettes Paillettes sur l’esplanade.

«Je sens évidemment la fatigue d’avoir organisé tout ça, mais je suis très contente de voir toutes les personnes mobilisées. C’est la première année où j’ai rejoint les organisatrices et si j’ai un message à faire passer, c’est de ne pas hésiter à se sentir légitime et rejoindre le mouvement», témoigne Marie Butty, une organisatrice, tenant la fameuse banderole annonçant une «Grève féministe permanante».

En partant, je ressens en effet de l'épuisement, mais beaucoup de joie de voir comment cette cinquième mobilisation consécutive - plus timide qu’en 2023 - reste inoubliable et marque à nouveau l’importance de lutter pour ses droits et l’égalité.

*nom connu de la rédaction

© 24HEURES/MARIE-LOU DUMAUTHIOZ

Une agression tard dans la nuit

Le lendemain, samedi 15 juin 2024, un message, diffusé sur Telegram, puis dans les médias, évoque une agression survenue à Montbenon plus tard dans la soirée. Les agresseurs auraient, selon ce message, réalisé des saluts nazis puis lancé des pétards et attaqué des personnes sur place. La police municipale de Lausanne a confirmé samedi dans un communiqué s’être rendue sur place vendredi «aux environs de minuit», après avoir été sollicitée suite à «des lésions corporelles».

Les autorités ajoutent avoir par la suite rencontré une manifestante «de 25 ans blessée au visage». Cette dernière «a été agressée par un groupe de trois à quatre personnes qui avaient quitté les lieux avant l'arrivée des forces de l’ordre». Elle a ensuite été conduite au CHUV pour subir les soins nécessaires. Une seconde femmes, âgée de 28 ans, participant à la grève féministe, s’est par la suite présentée à l’Hôtel de police. Souffrant «de douleurs au visage ainsi qu’un à une jambe», cette dernière a porté plainte.

Le collectif Grève Féministe Vaud a posté un message sur les réseaux sociaux évoquant cette agression et déplorant des violences «symptomatiques de la montée d’un fascisme décomplexé en Suisse, comme ailleurs en Europe. Nous lutterons tant qu'il le faudra contre l'extrême droite et sa haine et ne nous laisserons pas intimider. Nos mobilisations continueront.» Le communiqué du corps de police a de son côté précisé qu’une enquête est actuellement menée par la police judiciaire afin de déterminer les circonstances précises de ces deux agressions.


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