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Société

14 juin: 6 femmes engagées débattent en faveur de l'égalité

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À la veille du 14 juin, date en faveur de l’égalité entre les genres, six femmes engagées s'entretiennent sur des thématiques telles que les inégalités salariales, les rôles modèles et l’intersectionnalité.

© FABIAN HUGO

À la rédaction de Femina, nous nous sommes demandé comment parler en cette année 2024 des manifestations qui allaient réunir les femmes le 14 juin. Pas simple: nous paraissons quelques jours avant, trop tôt pour couvrir l’événement. D’autre part, l’actualité est si tendue que les revendications féministes semblent presque ternes, comme si, après quelques avancées il fallait clore le débat. Enfin, le mouvement de ces dernières années, joyeux, courageux, uni dans sa diversité, subit l’assaut des critiques et parfois se lézarde. Une nouvelle petite musique se fait entendre qui tente d’opposer femmes de gauche et femmes de droite, droits des minorités, la multiplicité des causes devenant facteur de division. Nous n’avions pas envie d’entonner ces refrains mais plutôt de réunir, pour de vrai, pour quelques heures, quelques femmes de professions et d’opinions différentes, pour regarder le chemin parcouru et contempler l’horizon. Histoire de partager quelques rêves, ou l’apéro.

Six femmes engagées

Aussitôt dit, aussitôt fait, nous avons «casté» six personnalités: Claudine Esseiva, députée PLR dans le canton de Berne, coprésidente des Business and Professional Women BPW, membre d’Alliance F, directrice de communication de sa propre agence ComCœur; Mathilde Mottet, coprésidente des Femmes socialistes suisses, Anita Hugi, réalisatrice de cinéma, directrice de la section cinéma de la Haute École d’art de Genève, Line Pillet, présidente de l’Association Femmes PME Suisse romande, directrice de l’institut Entrepreneuriat & Management HES-SO Valais-Wallis et administratrice indépendante, Anne Challandes, présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales, et Joëlle Schwarz, coresponsable de l’Unité santé et genre à Unisanté et chargée de cours à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.

Nous nous sommes réunies au onzième étage de la tour Edipresse. Le jour J, elles arrivent, un peu stressées à l’idée d’affronter les séances photos, certaines en retard, ayant dû caser la rencontre dans un agenda chargé. Il fait un temps maussade, mais le ciel est balayé par les rayons de soleil. On avait demandé à nos invitées de porter des couleurs neutres pour la photographie de groupe, voilà qu’elles se tiennent telles des oriflammes rebelles. Ça commence bien.

Que reste-t-il de la Grève féministe de 2019?

Alors, comment va le monde? La grande manifestation du 14 juin 2019 a-t-elle fait bouger les fronts? Ainsi commence-t-on la discussion après les présentations d’usage. Les intervenantes nuancent. Dans leurs domaines, rappellent-elles, – et on l’oublie parce que ça n’intéressait pas grand monde – cela fait des années que des femmes s’organisent pour plus d’égalité. Anita Hugi connaît depuis longtemps le cinéma: «Je ne vois pas de causalité directe entre la grève féministe de 2019 et certaines avancées dans le domaine du cinéma. Des associations féminines existaient déjà auparavant, qui s’étaient organisées pour revendiquer plus de diversité. Mais c’est clair que le 14 juin a donné plus de voix. Et surtout, 2019 a montré que quelque chose était possible à l’échelle de toute la société, que c’était populaire, et décentralisé!»

Populaire? Et dans les milieux paysans? «On est sorties de la cuisine, c’est ça que vous pensez?, demande en rigolant Anne Challandes. En 2019, nous étions présentes, et j’ai trouvé ça bien parce que ce n’est pas forcément dans notre ADN de faire la grève. Mais cette manière d’agir au-delà des barrières et des étiquettes nous a donné beaucoup de force. Des processus politiques ont été engagés. Même si ce n’est pas encore terminé. Aujourd’hui, on en est encore à discuter des ordonnances d’exécution. Mais les femmes paysannes ont pu parler de leur rémunération, de leurs rentes, de leur autonomie, des expériences acquises.»

© FABIAN HUGO
«On doit voir au-delà de son assiette. La perméabilité entre les secteurs et les thèmes est très importante pour éviter les reculs.»

Anne Challandes

Présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales

Line Pillet inscrit de la même manière la place des femmes dans les entreprises sur le long terme et elle en résume le résultat avec quelques chiffres: «On atteint 20% au sein des directions, 31% dans les conseils d’administration, la loi sur l’égalité a permis une prise de conscience de la valeur ajoutée des femmes dans l’économie et de leur rôle essentiel dans la société. La journée du 14 juin aussi. Mais, ajoute-t-elle, on se rend compte des effets de bord. Par exemple, les femmes aux postes à responsabilité sont souvent d’origine étrangère. Où sont les Suissesses? Et comment garder cette présence féminine? Certainement en améliorant les conditions-cadres. D’où l’importance d’avoir cette discussion aujourd’hui pour maintenir cette dynamique positive et que les questions de diversité restent d’actualité.»

Mathilde Mottet, la benjamine de la rencontre, était à l’étranger en 2019, mais a suivi la journée à distance. «Il y a beaucoup plus de personnes qui se disent féministes, alors qu’avant, c’était un gros mot. On a réussi à changer la définition du viol, fait un petit pas pour l’égalité salariale, gagné une 13e rente AVS. Mais il reste encore énormément de choses à faire. Et quand nous n’avançons pas, l’égalité ne fait pas de surplace: elle recule.»

Dans le domaine de la santé par exemple? «Ça n’a pas amené de nouvelles choses, répond Joëlle Schwarz, mais cela les a crédibilisées. On sait depuis longtemps que les recherches n’étaient faites que sur des corps masculins, des animaux mâles, des cellules mâles, mais pas grand-chose ne changeait. En Suisse, #MeToo et la grève du 14 juin ont permis qu’on y consacre désormais un programme national de recherche doté de 11 millions de francs. La santé des femmes n’est plus un sujet de raillerie, il y a eu un point de bascule.»

Tout aussi fondamental, Joëlle Schwarz se réjouit de voir que les étudiantes en médecine ont créé un mouvement. Elles ont contraint les établissements hospitaliers à agir contre le sexisme et le harcèlement, elles ont mis sur pied des lieux d’écoute. Toutes les femmes ne sont néanmoins pas si attentives à leurs propres droits. Passons au deuxième chapitre de notre discussion.

© FABIAN HUGO
«En 2014, nous avons créé un brevet fédéral de spécialiste en gestion de PME pouvant être obtenu par la validation des compétences acquises et la valorisation de l’expérience de vie. Aujourd’hui, près de 700 personnes en Suisse l’ont obtenu. Ce qui se fait dans l’ombre est un des socles de notre société.»

Line Pillet

Présidente de l’Association Femmes PME Suisse romande

Inégalités dans le monde du travail

«Cela fait douze ans qu’on a lancé avec les BPW la campagne Equal Pay Day, à savoir calculer le jour à partir duquel on travaille gratuitement, raconte Claudine Esseiva. Le moment recule, cela signifie que l’égalité salariale progresse. Au début, seules les entreprises modèles pouvaient montrer leurs chiffres. Maintenant toutes celles qui ont plus de 100 employés doivent s’y mettre. Certaines étaient convaincues que leur pratique était correcte et se rendent compte en publiant leur rapport d’activité qu’il y a des progrès à réaliser. Je dirais aussi que les femmes doivent mieux se préparer à l’entretien d’embauche. Moi-même, je me suis fait piéger. J’étais en vacances, détendue, quelqu’un me propose un job, me parle salaire et je lui réponds spontanément: «Je m’en fous!» Il est donc important qu’une femme ait le courage de demander un salaire correct, de se documenter auprès des collaborateurs masculins de l’entreprise.» Parce que pour les femmes, insiste Claudine Esseiva, il y a plus important que la rémunération. Les horaires, les vacances, la flexibilité, les valeurs.

© FABIAN HUGO
«L’impact que le salaire a sur les rentes est énorme. Dans beaucoup de PME, les femmes ont travaillé toute leur vie. Leur salaire leur était donné comme un reste, pour la femme du chef et, tout d’un coup, elles se rendent compte qu’elles n’ont de loin pas assez à la retraite.»

Claudine Esseiva

Députée PLR dans le canton de Berne et coprésidente des Business and Professional Women BPW

Les valeurs? Ce n’est pas ce qui remplit le frigo à la fin du mois! Mais la discussion montre qu’on est tombées sur un nœud. «Deux tiers du travail du «care» est pris en charge par les femmes, rappelle Mathilde Mottet, et si on additionne toute forme de revenu pendant la vie active, on arrive à une différence de 43% entre les hommes et les femmes.» Pareil dans l’agriculture ou les PME, où les épouses aident les maris à tenir l’exploitation ou l’entreprise, un soutien dans lequel l’amour ne remplace ni le salaire ni les futures rentes. «Ce n’est pas notre premier réflexe de demander une rémunération correcte. Ça ne fait pas partie de notre éducation.» Anita Hugi donne l’exemple d’artistes qui ne signaient pas leurs œuvres, préférant l’exercice de leur liberté à la reconnaissance. Les femmes sont poussées par d’autres moteurs, encore plus puissants, ajoute Anita. Et puis, il y a aussi la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée. «La question se pose toujours pour les femmes (et pas seulement pour elles): comment participer à un tournage pendant 7 semaines quand vous avez des enfants?»

Certaines ont l’air d’y être arrivées. Ces femmes qui semblent avoir surmonté les difficultés, celles qu’on tire de l’oubli pour en faire des personnalités de premier plan sont-elles inspirantes pour nous, pour les générations futures?

© FABIAN HUGO
«Ce n’est pas un hasard si les femmes sont aujourd’hui moins riches que les hommes. Elles travaillent gratuitement pour élever des enfants, et qui eux travailleront pour les profits de leur patron. C’est caricaturé, mais ça pose une question essentielle : est-ce qu’on veut l’égalité au sein de la même cage, ou libérer tout le monde de la cage?»

Mathilde Mottet

Coprésidente de Femmes socialistes suisses

Rôles modèles féminins dans la société

«Oui, bien sûr, les rôles modèles c’est bien, mais cela signifie que c’est aussi à nous de porter la charge de rendre les femmes plus visibles.» Joëlle Schwarz observe les évolutions dans le monde médical, constate qu’il y a plus de femmes qui étudient la médecine, plus de femmes médecins assistantes, mais au moment de devenir cheffes de clinique, les marches de la pyramide s’effondrent. «Et là les hôpitaux disent, on ne peut pas faire grand-chose, les femmes préfèrent s’installer dans le privé et avoir des horaires plus confortables. Mais c’est justement là qu’il y a quelque chose à faire!»

Nos invitées tombent d’accord. Elles sont aussi un peu fatigantes, ces femmes exemplaires. Elles ont si bien réussi qu’elles donnent l’impression aux autres de ne pas être à la hauteur. «Ce ne sont pas des modèles, ce sont des «superwomen»! On ne voit que la pointe de l’iceberg sans voir le chemin parcouru, les doutes, les difficultés, et ensuite, on se dit, je n’y arriverai pas!» dit Line Pillet. Mathilde Mottet renchérit: «Ma définition du succès, c’est la liberté et l’égalité pour tout le monde, avoir assez d’argent pour des fins de mois sans souci, pouvoir rentrer à la maison sans se préoccuper de sa sécurité, avoir du temps pour se faire plaisir. C’est bien de montrer qu’on peut, mais il est encore plus important de donner les moyens de pouvoir à tout le monde.»

Tout de même, n’est-il pas important de se rappeler que derrière Le Corbusier, il y a Charlotte Perriand, derrière Eames, il y a sa femme Ray? Les figures de la pop culture ou du cinéma qui acceptent l’immense fragilité de se tenir en victimes aussi ne jouent-elles pas un rôle central? «Je pense que c’est très important d’avoir des modèles, rappelle Claudine Esseiva. Mais ça l’est tout autant de montrer qu’elles ont franchi les étapes à petits pas, qu’elles ont craqué, qu’elles ont douté.»

© FABIAN HUGO
«Les femmes au cinéma ont longtemps été celles qu’on aime ou celles qu’on tue… Qui donne la voix aux femmes? Il est désormais nécessaire qu’elles puissent raconter, filmer elles-mêmes les histoires qu’elles désirent.»

Anita Hugi

Réalisatrice et directrice de la section cinéma de la Haute École d’art de Genève

Enjeux de l'intersectionnalité

Douté, craqué, n’est-ce pas des adjectifs qu’on associe désormais au mouvement féministe? On fait donc un tour de table, et on commence par le plus simple: la science. «De mon côté, dit Joëlle Schwarz, c’est moins politique, donc c’est assez confortable. Je fais de la recherche en épidémiologie sur la santé des populations. En Suisse comme en Europe, les conditions de vie sont un des paramètres les plus importants. Il est lié au genre, aux dimensions sociales, à l’origine migratoire, à l’âge. On n’arrête pas de croiser les données et les statistiques et c’est central pour mener ensuite des campagnes de prévention ciblées et efficaces.»

Du petit-lait pour Mathilde Mottet: «Le féminisme intersectionnel consiste à dire qu’on n’est pas toutes pareilles, mais qu’on s’engagera jusqu’à ce que chacune d’entre nous mène une vie autodéterminée. On n’oublie personne: ni les caissières, ni les Palestiniennes, ni les femmes trans.» Claudine Esseiva et Line Pillet privilégient le pragmatisme. Défendre les femmes, avec si peu de moyens et avec tant à faire, est une priorité. Anne Challandes: «Le corps et l’intégrité des femmes sont toujours un enjeu de lutte. Il est donc nécessaire d’avoir un regard de solidarité ouvert aux autres. Si des femmes ne peuvent plus avorter aux États-Unis, cela pourrait avoir un impact chez nous aussi. Et dans le monde agricole, on doit aussi tenir compte des réalités des femmes dans le monde, parce que ce sont elles qui travaillent la terre, qui produisent notre alimentation.» Et nourrissent cette belle discussion.

© FABIAN HUGO
«On pourrait valoriser des parcours féminins qui ne sont pas seulement ceux de la professeure mais aussi des trajectoires différentes qui inciteraient par exemple au temps partiel ou au travail d’équipe. Ce n’est pas avec les outils du maître qu’on va détruire la maison du maître, disait l'essayiste américaine Audre Lorde.»

Joëlle Schwarz

Coresponsable de l’Unité santé et genre à Unisanté

Laurène Ischi a contribué à organiser la rencontre et Jérémy Le Menn a géré la technique.

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