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14 juin: La mixité choisie, un outil de lutte féministe

14 juin: La mixité choisie, un outil de lutte féministe

Le 14 juin 2024, journée de grève féministe un peu partout en Suisse romande, certaines activités sont organisées entre femmes et minorités de genre afin de mettre en avant leurs revendications.

© GETTY IMAGES/JDAWNINK

Peut-être irez-vous militer le 14 juin dans les rues de Genève, Lausanne, Delémont, Neuchâtel ou Fribourg pour réclamer la fin des inégalités. Si tout le monde est bienvenu à la manifestation, certains espaces ou ateliers sont réservés aux personnes réunies généralement sous le sigle FLINTA, pour femmes, lesbiennes, intersexes, non binaires, trans et agenres. Les hommes cis - qui se reconnaissent dans le genre assigné à leur naissance - sont donc priés de rester en dehors de ces lieux: c'est ce qu'on appelle la non-mixité ou la mixité choisie.

«À Genève, le tronçon de tête du cortège est réservé aux femmes et aux minorités de genre, précise Léonore, membre du collectif genevois de la Grève féministe, tandis que les autres blocs de la manifestation accueillent toutes celles et ceux qui souhaitent participer.» D'ailleurs, le collectif s'organise aussi de cette manière, sans hommes cis dans ses rangs lors des réunions plénières, comme c'est le cas pour d'autres groupes féministes en Suisse romande. Mais pourquoi écarter les hommes d'un pan des luttes contre les inégalités, mouvements qui leur sont profitables à de nombreux égards?

La mixité choisie ne signifie pas l'exclusion

«L'idée est de se soustraire à une domination et de la combattre, explique Lucile Quéré, chercheuse post-doctorante au Centre en études genre de l'Université de Lausanne. La mixité choisie permet aux femmes de prendre la parole sans se battre contre des hommes pour l'obtenir, la valorisation du point de vue subjectif féminin, la reconnaissance des savoirs des femmes ou encore la compréhension de la dimension collective des vécus, liste la spécialiste des mouvements féministes. Cela génère une forme de solidarité.»

«Le but est de créer des espaces où les personnes concernées par une même oppression peuvent s'exprimer librement, sans être confrontées aux personnes du groupe oppresseur», ajoute Léonore.

«On sait que dans les lieux mixtes, les hommes cis ont tendance à accaparer le temps de parole et à interrompre. S'organiser sans eux permet de résoudre ces tendances et de rendre nos discussions plus efficaces. Aussi, nous partons sur une base commune d'expériences du sexisme, ce qui signifie que les discriminations ne seront pas minimisées et les vécus de chacun-e accueillis avec bienveillance», complète la membre du collectif genevois de la Grève féministe.

Pour Lucile Quéré, la mixité choisie n'est pas un outil de lutte excluant, malgré les critiques en ce sens: «Il y a des lieux d'entre-soi qui ne sont pas pensés comme excluants, par exemple les cercles sociaux des élites. Ces réseaux fermés offrent à leurs membres un accès à des ressources dont ils et elles ont le monopole, ce qui maintient la domination», explique la chercheuse de l'Université de Lausanne.

«À l'inverse, l’entre-soi des groupes dominés n'a pas pour but de s'accaparer des ressources au détriment d’autres groupes, mais de revendiquer une distribution plus égalitaire de ces ressources. Finalement, la mixité choisie est plus un outil d'égalité que d'inégalité», résume-t-elle.

Une pratique critiquée par la société conservatrice

La mixité choisie comme outil de lutte contre les inégalités est régulièrement critiquée au nom de l'égalité, justement, par ses détractrices et détracteurs. On se souvient en janvier 2024 d'un concert d'improvisation de jazz à Genève qui a heurté l'UDC cantonale, d'un salon organisé par Fri-Son qui a lancé un débat houleux à Fribourg en 2023 ou encore d'une soirée jeux annulée dans une ludothèque genevoise en 2022 suite à des réactions négatives. Cela parce que l'espace d'un événement de quelques heures, les hommes cis n'étaient pas les bienvenus afin de respecter l'envie des femmes et des minorités de genre de se retrouver entre elles pour valoriser leur talent, se sentir en sécurité ou simplement s'amuser ensemble.

Pourtant, le concept n'est pas nouveau et existe dans le cadre de nombreuses luttes, de l'anti-racisme à l'anti-validisme, en passant par les réunions entre personnes LGBTQIA+. «L'auto-organisation du mouvement ouvrier a été pensée très tôt, illustre Lucile Quéré. La non-mixité était aussi un outil utilisé dans les luttes pour les droits civiques aux États-Unis. Et dans les mouvements féministes, la non-mixité a fait l’objet d’une réflexion dès le 19e siècle, même si ce mode d'action a été légitimé dans les années 70 seulement.»

De fait, la mixité choisie n'est pas remise en question partout. Prenons par exemple le secteur sport ou certains loisirs: Women Sport Evasion, les retraites bien-être entre femmes ou encore les Ladies Night au cinéma ne semblent choquer personne.

«Quand ce sont des mobilisations en faveur de l'égalité, c'est généralement là que les remises en question surviennent, commente la chercheuse en études genre. La raison?»

«La mixité choisie met en lumière la position dominante des détractrices et détracteurs, leurs privilèges et ainsi l'ordre social inégalitaire, ce qui pose problème à celles et ceux qui défendent cet ordre social», explique Lucile Quéré.

Des ajustements au sein des mouvements féministes

Mais il n'y a pas que les antiféministes qui dénoncent la mixité choisie. Au sein même des mouvements militant pour l'égalité, cette pratique interroge et est sujette à des ajustements. Le collectif lausannois Les Limaces a décidé que son festival Les Trouvailles - auparavant organisé en mixité choisie sans homme cis - serait cet été 2024 ouvert à toutes les personnes qui ne sont pas «TERFs (ndlr. les féministes transphobes), machos, fachos ou relous», comme l'indique leur site. «La mixité sans hommes cis bénéficie principalement aux femmes cis-hétéros qui dans ce contexte se retrouvent en haut de l’échelle des oppressions et les seules à se sentir complétement légitimes dans ces espaces, argumente le collectif. Cette mixité part de l’idée que les hommes sont une menace ou un danger pour les femmes, et que les retirer de l’équation permet de créer une espace «safe» ou sécurisant pour ces dernières. Mais ce concept repose entièrement sur une pensée binaire et essentialiste, ce qui ouvre la porte à des comportements transphobes mettant en danger les personnes queers.»

Lucile Quéré reconnaît que d'autres formes de domination peuvent apparaître dans un espace non-mixte sans hommes cis, dans une perspective intersectionnelle. «Toutefois, le but de la mixité choisie n'est pas de produire une totale égalité entre les membres d'un groupe opprimé, mais de contester cette oppression.» La spécialiste souligne en outre que, dans les milieux féministes, cette pratique cohabite avec d'autres actions en mixité, comme le cortège du 14 juin. «Il s'agit d'une stratégie ponctuelle et d’une étape dans les luttes qui mènent à l'émancipation, et non une finalité en soi», conclut-elle.

Où seront les hommes le 14 juin?

«Les hommes ont leur place au sein des luttes féministes», rappelle Léonore, du collectif genevois de la Grève.

«Ils sont notamment actifs dans des groupes de travail et associations externes au collectif avec lesquels nous collaborons. Le collectif comprend un groupe d'hommes solidaires engagés, des personnes de confiance à qui nos membres peuvent déléguer des tâches, par exemple logistiques. Et bien sûr, ils sont les bienvenus à la manifestation du 14 juin, journée lors de laquelle nous les encourageons à endosser davantage de tâches domestiques afin que les femmes et personnes LGBTQIA+ puissent porter leurs revendications.» À vos slogans!

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