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Afghanistan: Une journaliste témoigne de la condition des femmes

Les Afghanes voient leurs droits élémentaires fondre.

«On leur a tout pris, tout espoir. La chape du patriarcat leur est retombée dessus comme le couvercle d’un cercueil.» - Hamida Aman, directrice de la Begum Organization for Women (BOW)

© GETTY IMAGES/ELISE BLANCHARD FOR THE WASHINGTON POST

Plus le droit de parler trop fort dans la rue, plus le droit de montrer son visage en public, plus le droit d’étudier… De semaines en semaine, les lois restreignant les droits féminins s’accumulent comme une masse de nuages noirs en Afghanistan. Depuis que les talibans ont repris le contrôle du pays en 2021, la vie offre de moins en moins de perspectives pour les femmes. Nous avons interviewé la journaliste afghane Hamida Aman, directrice de la Begum Organization for Women (BOW), le lendemain de son retour de Kaboul.

FEMINA Vous revenez tout juste d’Afghanistan, quelle est l’atmosphère dans les rues?
Hamida Aman
Une tension est palpable, surtout parmi les femmes, dont le moral est au plus bas. La promulgation du nouveau décret interdisant aux femmes de parler fort ou chanter dans l’espace public n’y est pas pour rien. Cette loi est la dernière d’une liste d’interdits ou d’obligations frappant la population féminine, qui est notamment poussée à se couvrir intégralement. Depuis ma dernière visite il y a quelques mois, j’ai d’ailleurs vu beaucoup plus de femmes porter le masque Covid pour cacher leur visage.

Mais les hommes aussi sont prudents dans la rue, car ils peuvent se faire reprocher une longueur de barbe ou une tenue inadaptées. Les gens s’autocensurent d’avance de peur d’être pris pour cible, une stratégie typique des populations vivant sous un régime totalitaire. Cela génère des crispations dans les familles.

À quoi ressemble le quotidien des femmes?
C’est plutôt sombre, une vie cantonnée à la maison entre quatre murs, à s’occuper de la famille. C’est encore plus compliqué pour les veuves quand elles n’ont plus aucun homme pour subvenir à leur besoin. Les heures de la journée sont longues pour les femmes afghanes. Elles sortent beaucoup moins qu’avant.

Ont-elles encore le droit de travailler?
Il subsiste quelques secteurs où les femmes sont tolérées, comme dans certains médias. Mais la plupart n’ont d’autres choix que d’avoir leur propre petite affaire pour acquérir un revenu. Elles ont leur boutique, fabriquent des produits alimentaires qu’elles vendent sur les marchés. Elles montent leur atelier de couture ou font de l’agriculture en élevant des animaux pour faire du fromage, des yogourts. Certaines aussi s’occupent de ruches.

Et qu’en est-il de l’éducation aujourd’hui?
Avant l’âge de douze ans, les petites filles vont encore à l’école primaire et suivent les classes jusqu’à l’équivalent de la sixième. Mais à partir de cet âge, l’État ne propose plus de service d’éducation pour elles. Les jeunes filles n’ont alors plus d’autres choix que de s’enfermer à la maison.

L’accès des femmes à l’école est d’ailleurs devenu un tabou dans la société. Le sujet est banni des débats publics et, pour un journaliste, poser des questions sur ce thème peut être considéré comme un crime.

Quel est l’état d’esprit des femmes afghanes?
Il prédomine chez elles ce sentiment qu’elles ont été oubliées, abandonnées, sacrifiées par la communauté internationale, après deux décennies où le monde n’a eu de cesse de leur dire qu’elles avaient elles aussi droit au travail, à l’autonomie, au choix de leur vie. Elles sont découragées, tristes. Pour des raisons géopolitiques – la lutte contre le terrorisme, la drogue ou l’immigration – l’Occident est en effet sur la voie d’une normalisation de ses relations avec le régime taliban.

Des chiffres montrent que 80% des suicides en Afghanistan sont le fait de femmes…
Cela n’est guère surprenant. On leur a tout pris, tout espoir. La chape du patriarcat leur est retombée dessus comme le couvercle d’un cercueil. Tous ces interdits leur font perdre confiance dans le fait qu’elles peuvent réaliser des choses, travailler, elles perdent confiance dans le fait de pouvoir vivre tout simplement.

À Kaboul, elles sont encore assez libres de leurs mouvements, elles peuvent aller faire leurs courses, se rendre sur leur lieu de travail ou visiter les proches, mais les lois grignotent de plus en plus leur autonomie, avec par exemple l’interdiction pour les taxis de prendre des femmes seules.

En zone rurale, beaucoup ne peuvent déjà plus déambuler sans être accompagnées d’un homme. Pourquoi? Parce que dans l’histoire de l’Afghanistan, l’enfermement des femmes a toujours été vu comme le baromètre de la puissance des hommes.

Comment expriment-elles leur résistance?
D’abord, elles essayent d’affronter chaque jour tous ces interdits. Sortir de chez elles est déjà, en soi, une forme de résistance. Certaines tentent de rester coquettes, de se maquiller, même si les salons de beauté sont désormais interdits. Beaucoup s’accrochent à leur travail. Les jeunes femmes vont parfois étudier dans des écoles clandestines ou suivre des cours ici et là qui sont encore tolérés. Elles continuent à occuper autant qu’elles peuvent l’espace public.

En privé, elles chantent et dansent à l’intérieur du foyer pour garder le sentiment d’être en vie. Mais les manifestations restent rares. Récemment, une vingtaine de femmes ont marché à Kaboul pour protester contre les lois des talibans. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est toujours plus que les hommes: aucun ne manifeste pour elles.

Les hommes, d’ailleurs, qu’en pensent-ils?
Ils disent être révoltés et tristes, mais sans pour autant prendre des risques pour les femmes. Beaucoup des hommes les plus radicalement opposés aux talibans ont quitté le pays. Les restants sont de facto vendus au régime. Petit à petit, ils voient cette situation comme la normalité, et eux-mêmes finissent par devenir les garants des préceptes des talibans. Où se place le curseur entre véritable adhésion et acceptation par peur des représailles? Cela reste difficile à dire parfois.

Les femmes arrivent-elles à communiquer entre elles, à diffuser des messages de résistance?
Elles y arrivent notamment via les réseaux sociaux, auxquelles elles peuvent avoir accès. Ces plateformes n’ont pas encore été interdites comme en Iran. Environ 40% des gens possèdent un smartphone en Afghanistan. Grâce à internet, elles s’éduquent, s’informent, gardent un contact avec l’extérieur. Justement, lors des manifestations, elles filment ces rassemblements et les postent sur les réseaux sociaux.

Mais il faut savoir que celles qui s’opposent aux règles sont emprisonnées, souvent battues, parfois violées en détention puis rendues à leurs parents.

Et vivre ainsi après un viol est pire que la mort pour elles, car la famille les garde enfermées pour fuir les rumeurs. Je crois malgré tout que la résistance va venir des femmes. J’espère que grâce à des réseaux de femmes on pourra réussir à briser ces chaînes, notamment à travers l’éducation. Il ne faut pas nous abandonner. 


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