Baghera Jones: «Je suis fière de ma communauté sur Twitch»

La liste de ses derniers projets est impressionnante, tout comme sa communauté grandissante sur Twitch, le réseau social où l’on propose du contenu en streaming (en direct) et où s'affrontent des millions de gamers et gameuses en ligne. Baghera Jones, Justine Noguera pour les intimes, a été reconnue en 2023 comme la streameuse francophone féminine la plus regardée, avec près de 4 millions d’heures de visionnage. Et sa chaîne rassemble actuellement 643 000 abonné-e-s.

En 2024, elle enchaîne les gros projets sur Twitch, mais aussi YouTube en apparaissant aux côtés des plus grands noms francophones du milieu, comme Maghla, Natoo, Squeezie, Michou, Mcfly et Carlito ou encore, début août, dans la dernière vidéo de Joyca.

Petite fierté patriotique, Baghera Jones est Neuchâteloise. La femme de 29 ans s’est lancée sur Twitch en 2018 et habite désormais à Montpellier, ville préférée des gamers et des gameuses où ils et elles sont nombreux-euses à vivre. Sa chaîne commence à grandir après sa participation en 2019 à Z Event, un événement caritatif dans lequel des streamers et streameuses récoltent des fonds sur Twitch et explose lors de sa participation au RPZ en 2021, durant lequel les participant-e-s jouent à GTA V tout en faisant du Role Play (jeu de rôle) sur Twitch et YouTube. Durant deux semaines, Baghera Jones y incarnait le rôle fictionnel d’Antoine Croute, un adolescent un peu idiot.

Récemment, la streameuse a fait les gros titres de l’actualité après avoir organisé début juin 2024 le projet Streamers4Palestinians, un événement qui s’est déroulé durant cinq jours sur Twitch et qui a permis de reverser un million d'euros à l’ONG Médecins du Monde afin de soutenir son travail à Gaza. Du 6 au 8 septembre 2024, elle participera à nouveau à Z Event qui organise, cette fois-ci, une collecte au profit de cinq associations différentes (Les Bureaux du Cœur, Solidarité Paysans, Secours Populaire, Chapitre 2, Cop1).

FEMINA Vous êtes streameuse depuis 2018, qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier?
Baghera Jones J’ai commencé à faire des lives parce que j’adore les jeux vidéo. J’aime l’idée d’une performance en direct et le fait de pouvoir discuter en même temps avec ma communauté. J’apprécie aussi énormément d’interagir avec toutes les personnes qui chattent en ligne avec moi, c’est comme une entité en soi. Mon statut me permet de plus de vivre des expériences folles. Ces derniers temps, j’ai fait de la danse, de la pétanque et j’ai même terminé dans une Formule 4. Je sais que je suis très chanceuse et je profite de faire le maximum de projets et de m’en nourrir.

Qu’est-ce que les jeux vidéo représentent pour vous?
Je n’y jouais pas énormément plus jeune car j’ai vécu la malédiction des petites sœurs et je regardais beaucoup mon frère le faire. Puis, j’ai intégré une équipe de jeux de rôle et c'était un super début pour découvrir plein de jeux différents. Je trouvais génial d’être dans une équipe aussi passionnée. Maintenant, j’ai la chance de pouvoir essayer plein de jeux différents. Il faut dire que je me retrouve parfois à me perdre et ressortir en quelque sort d’un tunnel après trois mois.

Qu’est-ce qui peut coincer pour se lancer dans les jeux vidéo?
C’est vrai que c’est difficile de commencer, notamment en tant que femme. Je pense que la plupart des hommes ont eu de bonnes introductions aux jeux vidéo, mais nous, un peu moins. Je le vois notamment à travers certaines amies qui me disent qu’elles ne savent même pas utiliser une manette. Pourtant, c’est normal au début, et avec de bons conseils, on peut faire des découvertes incroyables. J’adore voir tout d’un coup quelqu’un-e débuter et ne plus lâcher. Je trouve ça génial de découvrir ce nouveau monde rempli de passionné-e-s car cela permet de s’ouvrir à plein de belles découvertes et des perles artistiques incroyables.

Vous êtes suivie par plus d’un demi-million de personnes, est-ce que vous pensiez un jour atteindre cette notoriété?
Comme pour beaucoup de monde à qui ça arrive, pas du tout! J’ai commencé à jouer quand j’étais en coloc, sur un vieil ordi qui fonctionnait mal. Puis, je me suis dit que le stream pouvait me plaire et je me suis lancée. Mais c’était inimaginable d’être là où j’en suis aujourd’hui, surtout qu’il faut dire qu’on ne se rend pas tout de suite compte car ça monte petit à petit et tout d’un coup, on se retrouve dans de très gros projets.

Des cas de cyberharcèlement ont souvent été dénoncés par des gameuses, comme la streameuse française Maghla ou vous-même. À quel point le sexisme est-il un problème sur Twitch?
Il faut bien préciser que c’est un problème qu’il y a partout. Le sexisme, c’est quelque chose de systémique, il y en a dans tous les milieux. On peut avoir l'impression qu’il est davantage présent quelque part quand il est rendu visible, notamment via les médias. Mais c’est vrai que dans l’univers du gaming, il y a parfois cet aspect «chasse gardée» des hommes. Certains sont énervés de voir les femmes prendre leur jouet, donc oui, il y a des soucis et n’importe quelle streameuse vous le dira. On doit faire attention et se protéger. Il faut dire qu’avec les années, je me suis construite une carapace et avec ma communauté, je n’ai aucun problème et je peux librement me confier. Par contre, ce qui m’inquiète et m’effraie, c’est que j’ai l’impression que ça s’empire. Je sens comme un retour en arrière, surtout chez les très jeunes.

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Les communautés sont très importantes sur Twitch, elles participent même aux lives à partir du chat qui s’affiche en direct. Quel rapport entretenez-vous avec ces personnes?
On a forcément une relation parasociale, mais on s’aime beaucoup. Vraiment, je les adore, on peut discuter de tout et de rien et on rigole énormément. Je suis très heureuse de pouvoir compter sur leur présence et qu’elles apprécient mon travail. Je fais cependant attention à ne pas instaurer une relation où l’on se retrouverait dans une attitude de fans et je trouve que ça fonctionne bien ainsi. Mais il m’est évidemment impossible d’imaginer à quoi ressemble les milliers de viewer-euse-s avec qui je discute. Ces personnes sont là pour se divertir et je suis très reconnaissante que, parmi toutes les offres possibles entre toutes les plateformes existantes, elles soient en train de me regarder. J’essaie ainsi de proposer du contenu de la meilleure qualité possible, mais parfois on est toutes et tous super fatigué-e-s et on se parle tout tranquillement avec simplicité.

Comment décririez-vous votre communauté?
Je n’ai pas forcément une base qui est là depuis mes débuts et qui suit tous mes directs, c’est plutôt un mélange. Il y a des petites vagues de personnes qui arrivent, qui s’amusent et qui repartent, et ça me plaît beaucoup. Je suis aussi très fière parce que les discussions sur mes streams sont assez safe. Et je dis toujours que si le chat est safe, la communauté l’est aussi. J’ai par exemple de nombreuses personnes de la communauté queer qui s’expriment. Le fait que des minorités puissent se sentir à l’aise de la sorte, c’est pour moi la plus grande réussite.

Début juin, vous avez organisé une collecte de fonds en faveur de la Palestine et de l’ONG Médecins du Monde, qui a atteint le million. Vous attendiez-vous à un tel succès?
Non, j’étais hyper étonnée et cela m’a beaucoup touchée. J’ai lancé cette initiative après avoir fait le constat que beaucoup de personnes souhaitaient agir face à cette situation catastrophique, mais elles ne savaient pas comment. Grâce à cet événement, elles avaient une possibilité de le faire. C’est aussi un sujet que beaucoup de monde avait peur d’évoquer, surtout en ligne, et j’ai souhaité fournir des outils aux streameur-euse-s qui avaient envie d’en parler, avec notamment l’accès à des informations et des interviews de Médecins du Monde. Ensuite, je me suis dit que même si on récoltait que quelques euros, ça serait déjà ça, donc quand on a atteint le million, c’était totalement inattendu.

Quelle a été la réaction de l’ONG concernée?
Elle a été aussi surprise que nous par la somme récoltée et touchée de constater l’ampleur de la mobilisation. Ses membres ont cruellement besoin de ressources et sont sur les rotules. Nous sommes d’ailleurs toujours en contact, et tous les donateur-ice-s recevront des informations sur leurs dons par email. C'était extrêmement important pour moi de mettre en place ce suivi.

C’est en effet un sujet très sensible, est-ce qu’il y a aussi eu des oppositions à votre cagnotte?
Oui, honnêtement il y en a eu énormément. Mais je ne souhaitais pas y prêter attention. Ces personnes nous insultent et ont des opinions ultraviolentes, je ne désire pas les considérer au sein de ma communauté. À l’inverse, justement, les personnes qui me suivent depuis longtemps sur Twitch et les ami-e-s que j’ai invité-e-s à participer à Streamers4Palestinians étaient des personnes avec les mêmes opinions que moi, qui souhaitaient garder un point de vue positif sur notre opération. On a également fait en sorte de prévenir du mieux possible ces attaques et de se protéger à notre manière en ajoutant des modérateur-ice-s et en fermant nos autres réseaux sociaux durant cette période.

C’est important pour vous d’utiliser votre notoriété pour aider des causes?
J’étais contente de pouvoir agir à mon échelle, à travers une plateforme qui me corresponde aussi bien que Twitch. Parfois, la situation est trop extrême pour se taire, mais je dois dire que je suis la première à comprendre ceux et celles qui ne le font pas, car ce sont toujours des actions très sensibles. Au départ, je fais du divertissement et ça aide aussi beaucoup de gens. On reçoit de nombreux messages de personnes qui ne vont pas bien et qui arrivent grâce à nos lives à se sentir mieux. Et ça reste très important d’offrir ces moments-là. Entre les personnes connues qui sont militantes – ce qui est une bonne chose – et celles qui s’en fichent complètement, il est important de dire qu’il y a tout un panel de gens au milieu – comme moi – qui sont indignés mais qui ne savent pas toujours comment l’exprimer et comment trouver le juste milieu pour agir.

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On vous regarde désormais aussi sur YouTube, notamment sur la chaîne des Youtubeur-euse-s les plus regardé-e-s de France. Quelle différence avec Twitch?
Cela ne fait pas très longtemps que je réalise des projets sur YouTube et il y a en effet une ambiance très différente. Il faut dire que même si c’est un cliché, Twitch rassemble des personnes plutôt introverties, qui sont dans leur coin, des geeks comme on dit, alors que sur YouTube, les personnes sont beaucoup plus extraverties et elles vont toujours en faire plus. Ce n’est donc pas toujours très simple pour moi et je dois m’adapter, mais j’aime cet univers. Je pense que tout le monde est passé par là et les ami-e-s que je me suis fait-e-s sur YouTube sont adorables, très compréhensif-ve-s et prennent le temps de m'intégrer.

Vous vivez à Montpellier mais vous êtes Neuchâteloise. Quelle relation gardez-vous avec la Suisse?
Pour mon travail, je me dois d’être ici mais je dois dire que dès que je pourrai revenir en Suisse je le ferai. Quand je reviens à Neuchâtel notamment, c’est toujours une grande bouffée d’air frais pour moi. C’est ici que j’ai grandi et je remarque que je ressemble davantage aux gens dans ma manière d’être. Franchement, quel plaisir d’attendre au feu rouge et on a tellement de chance avec nos lacs et nos forêts. Tout est magnifique. Ce sont des petits détails, mais c’est un pays que j’adore sincèrement. Et puis j’y retrouve aussi ma famille, qui me manque beaucoup.

Comment réagit-elle à votre succès?
Ma famille a forcément eu un peu peur à mes débuts car c’est difficile d'expliquer clairement cet univers, surtout que j’ai toujours fait un peu les choses dans mon coin. Mais une fois qu’elle a constaté que tout fonctionnait bien, même financièrement, ça les a rassuré. Désormais, je ressens que du soutien de leur part et j’ai une chance incroyable. Ils sont géniaux, mon père, ma mère et mon frère suivent tout ce que je fais dès qu’ils et elles le peuvent. Pour ma mère, cela a pris un peu plus de temps car elle comprenait moins ce que je faisais. Elle était très inquiète durant le GP Explorer 2 et c’est ce qui l’a menée à regarder davantage ma chaîne et maintenant elle me dit souvent qu’elle vérifie si j’ai streamé, c’est adorable. Elle est aussi prof et je crois que ça l’aide parfois un peu avec ses élèves.

Dans cet univers où tout bouge si vite, de quelle manière appréhendez-vous l’avenir?
Certaines personnes de ce milieu ont d’autres sources de revenus et il faudrait peut-être que je m’y mette pour sécuriser ma situation. Ce sont des médias dont la durée de vie reste inconnue et c’est difficile de se projeter vers l’avenir. Je dois dire que le simple fait de penser au futur, c’est de toute manière quelque chose qui m’angoisse. Pour l’instant, je profite de tous ces projets super cools et j’aimerais voir où ça me mène. Certaines personnes me disent parfois, «à 60 ans, personne ne suivra tes streams», mais en réalité, pourquoi pas?

BIO

6 janvier 1995: Naissance à Neuchâtel

Avril 2018: Début des streams sur Twitch

Février 2019: Déménagement à Montpellier

20 ou 23 septembre 2019: Participation à ZEvent, un événement caritatif rassemblant des streamer-euse-s organisé par Adrien Nougaret et Alexandre Dacharyt

21 avril 2021: Participation au RPZ, un événement organisé par Adrien Nougaret dans lequel les participant-e-s jouent à GTA5 et où elle incarne le personnage d’Antoine Croute qui rencontre un franc succès

3 mai 2023: Participation à la course de Formule 4 GP Explorer 2 organisée par Squeezie sur Twitch. Plus d’1,3 million de téléspectateur-ice-s regardent l’événement en simultané (record francophone)

9 et 16 mars 2024: Participation à l'émission Danse avec les stars d’internet, organisée par Michou sur Twitch

22 juin 2024: Participation au tournoi Pétanque Explorer, organisé en direct sur YouTube par McFly et Carlito