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Caroline Goldman: «Les parents en ont marre de l'éducation positive»

Caroline goldman les parents en ont marre de leducation positive

«Pas moins de 11% des jeunes Américains seraient atteints de TDAH. C'est totalement aberrant et hautement improbable.» - Caroline Goldman

© GETTY IMAGES/LEMONO

Punir une ou un enfant en l'envoyant quelques minutes dans sa chambre? Une violence éducative pour les tenants de l'éducation bienveillante, mais une méthode tout à fait appropriée pour Caroline Goldman, qui en avait même fait le titre de son ouvrage File dans ta chambre. Depuis sa publication il y a quatre ans, le livre controversé a été suivi de podcasts, de chroniques et d'interviews qui ont souvent fait des vagues dans la sphère médiatique. La psychothérapeute française, docteure en psychopathologie clinique et spécialiste de la psychologie des enfants et adolescent-e-s est, en effet, régulièrement attaquée pour son approche parfois jugée dure et austère de l'éducation.

Mais pas de quoi stopper la psychologue dans son élan: alors qu'elle vient de faire paraître Pourquoi? Petites leçons de psychologie pour les enfants de 8 à 11 ans (Éd. Dunod), le second tome d'une série d'ouvrages destinés aux enfants, Caroline Goldman persiste et signe dans sa vision des méthodes éducatives. Et voit même un mouvement de société de plus en plus hostile aux chantres de l'éducation positive. Rencontre avec une spécialiste qui fustige pêle-mêle l'abus d'écrans, les parents trop gentils et le boom très suspect, selon elle, des cas de TDAH.

FEMINA Qu'est-ce que les enfants de cette tranche d'âge des 8-11 ans ont de particulier sur le plan cognitif et comportemental?
Caroline Goldman C'est le moment où la pensée commence à s'émanciper de celle des parents et de tout ce que leurs proches leur ont présenté jusqu'ici. Ils profitent des conséquences de ce pas de côté opéré grâce à leurs premières années d'école, où ils ont rencontré d'autres références culturelles que celles de leur groupe d'origine. C'est l'âge où l'on se met à faire des comparaisons, à développer son esprit critique.

Il est important de les soutenir dans ces attitudes pour qu'ils ne restent pas pétris des conceptions parentales toute leur vie, avec le risque de ne plus s’ouvrir aux richesses extraordinaires offertes par le reste du monde. Le point de vue de l'enfant sur nous, sur nos choix, nos comportements, doit notamment être encouragé à évoluer tout au long de sa vie.

Vous dites assumer une dimension moraliste dans l'introduction de votre livre. N'est-ce pas un mot qui peut faire un peu peur?
La morale, déjà, ce n'est pas juste des interdits, ce n'est pas non plus des dogmes stupides. Je ne suis pas conservatrice, j'aime l'époque à laquelle je vis, la liberté créatrice et d’expression, mais je reste convaincue qu'un enfant est un petit être pulsionnel à éduquer. L'ossature morale doit être au service de l'épanouissement de l'enfant, pas un ensemble de règles qui l’éteignent. Je veux rappeler notamment l'importance de sensibiliser l'enfant au confort et au respect de l'autre.

Je n'accorde par exemple aucune importance au fait d'avoir le dos droit lorsqu'on est à table, mais cela me dérange si l'enfant ne dit pas bonjour à une personne qui le salue. La morale, c'est d'abord être en adéquation avec les autres, et cela est fondamental pour la vie future.

Après avoir fait paraître un premier livre destiné aux 4 à 7 ans, vous publiez celui-ci, avant un prochain adressé aux préados. Pourquoi cette envie de publier des guides pour différentes tranches d'âge?
C'est un désir de partage qui m'y amène. J'aime l'idée de passerelle entre les savoirs académiques et le grand public, de vulgarisation des découvertes phares en psychologie. On parle beaucoup de psychologie à notre époque, mais souvent de façon superficielle, caricaturale. Je trouve par exemple passionnant ce déterminisme de la première année du bébé, l'impact sur son futur développement, j'aime pouvoir l'expliquer afin qu'on puisse cerner l'importance de bien faire à ce moment crucial de la vie de l'enfant. Plus jeune, j'aurais adoré avoir de tels livres entre les mains.

Mais je suis aussi animée par le désir de mener de la prévention en santé mentale. J'accueille tous les jours des patients qui n'ont aucune idée de ce qui les traverse. Aux symptômes de leur souffrance psychique s'ajoute la honte d'imposer ces symptômes aux autres, souvent incompris ou mal interprétés par la société. Il est toujours mieux de savoir repérer les problèmes rapidement avant d'avoir affaire à des troubles plus sérieux et plus difficiles à traiter plus tard. Mais le DSM, cette bible américaine des troubles psychiques, n'aide pas à cela et a aujourd'hui une influence qui met en difficulté notre travail de soignants.

Comment ça?
Fondé par des assurances de santé et des laboratoires pharmaceutiques, le DSM tend malheureusement à résumer les maladies à des indices extrêmement visibles et grossiers, ceci afin de faciliter le repérage des symptômes par les professionnels ou l’action des molécules sur eux. Cela appauvrit considérablement le soin en imposant aux nouveaux psy de coller des étiquettes simplistes qui nient la complexité de l'origine de ces troubles.

La psychothérapeute française Caroline Goldman
La psychothérapeute, docteure en psychopathologie clinique et spécialiste de la psychologie des enfants et adolescent-e-s Caroline Goldman. © PASCAL ITO

On voit par exemple les dégâts de cette approche avec le Trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH, ndlr).

De nos jours, si l'on en croit les chiffres, pas moins de 11% des jeunes Américains seraient atteints de TDAH.

C'est totalement aberrant et hautement improbable, car cette pathologie reste très marginale et découle souvent de dommages au cerveau durant la grossesse. C'est simple, durant ma carrière, je n'en ai croisé aucun. Mais voilà, un enfant peine dans les apprentissages ou est plus agité que la normale, et hop, on le diagnostique TDAH.

Comment expliquez-vous, alors, la hausse actuelle des diagnostics?
Beaucoup sont menés de façon sommaire. Or, un tel ensemble de symptômes peut découler de très nombreuses causes, parfois profondes: préoccupations traumatiques, identitaires, dépressives, limites, névrotiques... Le problème, c'est qu'il faut investiguer et faire un travail de fond pour identifier l'origine sous-jacente, ce qui a un coût en termes de temps, d'implication émotionnelle et aussi d'argent. Et fouiller ainsi amène toujours du côté douloureux de la vie de famille, la souffrance des enfants vient toujours de la souffrance des parents.

Au lieu de mener tout cela, on préfère donc poser l'étiquette TDAH et distribuer une pilule dont la substance est un dérivé d'amphétamine. Forcément, elle fonctionne pour calmer les symptômes, d'ailleurs elle fonctionnerait pour n'importe qui, et pour n’importe quel problème, comme toute drogue. Cette pilule miracle arrange tous les adultes et aussi de façon transitoire l’enfant, qui reste assis sagement à sa table. Mais pour quel destin relationnel pour ce dernier, pour quel avenir relationnel entre lui et ses parents? La vie est longue…

Une conférence mondiale de consensus en 2022 a conclu qu'on ne savait pas soigner le TDAH et qu'il n'y avait que cette fameuse pilule pour atténuer les symptômes. C'est édifiant, un tel renoncement! Heureusement, l'OMS a récemment déclaré ne pas vouloir se satisfaire de cette approche et a émis des incertitudes sur les bienfaits réels du traitement, qui pourrait avoir des effets secondaires significatifs.

Vous dites que les enfants ont besoin de «parents forts». Qu'entendez-vous par là?
Les enfants ont besoin de parents stoïques qui savent où et comment les mener, pas de parents fébriles qui doutent de tout et leur demandent leur avis par chaque décision à prendre. Évidemment, il est normal d'interroger les souhaits des enfants pour ce qu'ils préféreraient comme confiture au petit déjeuner, mais il ne faut pas solliciter leur avis sur des questions qui concernent en premier lieu les adultes, comme la destination des vacances, à quelle heure ils voudraient se coucher...

Donner trop de pouvoir de décision à l'enfant est angoissant pour lui, celui lui ôte l'insouciance et l'alourdit de responsabilités.

Vous alertez sur le fait que les écrans servent trop souvent à «remplacer les parents» et à «éviter que les enfants dérangent tout le monde quand les parents ne savent pas rendre leur enfant sage». Le recours aux smartphones et autres tablettes est pourtant un allié bien précieux aujourd'hui.
Je constate en effet deux écueils très répandus des écrans dans les familles. Celui, d'abord, d'hypnotiser le bébé avec une tablette ou une télévision quand on est déprimé soi-même. Et puis, plus tard, celui consistant à se servir des écrans comme de substituts d'éducation, qui vont permettre d'éviter tout conflit pouvant découler de la nécessité de poser des limites éducatives.

C'est certain, éduquer un enfant est un véritable travail. Mais il faut avoir à l'esprit que ne pas passer de temps de dialogue avec ses enfants chaque jour, par exemple autour du dîner, l'empêche de recevoir des expériences formatrices, le coupe de l'expression de l'amour et des affects, de l'esprit critique. Il est important pour l'enfant de sentir que le parent est disponible pour vivre avec lui ce qu'il ressent. Lorsque l’écran prend cet espace au quotidien, tous ces aspects sont rabotés.

Vous n'allez quand même pas jusqu'à préconiser leur interdiction?
Non, je ne veux pas diaboliser ces outils, car on peut apprendre nombre de choses grâce aux écrans. Je comprends aussi qu'ils puissent être donnés pendant la fin d’une soirée à un enfant à partir de 4 ans, s’il est obligé de veiller au-delà de son heure de coucher habituel, loin de son lit. Mais autoriser les enfants à passer tout leur temps sur un smartphone ou une tablette alors qu'on mange au restaurant en famille ou pendant le repas du soir à la maison, me semble tout à fait injustifié et délétère.

Vous blâmez les parents qui «laissent leur enfant embêter tout le monde», qui «sont trop gentils avec eux» ou qui «les écoutent trop se plaindre». Faut-il lire là entre les lignes votre critique de l'enfant roi, de l'enfant tyran, et des dérives de l'éducation positive?
Absolument, je me bats pour faire entendre cette détresse des enfants et adolescents qui n'ont pas connu de limites éducatives et viennent voir des psy en consultation dans un état symptomatique alarmant. Ils sont incapables de nouer des liens tant ils se sentent désaccordés des codes de bienséance. Ils ont eu le loisir d’agresser verbalement quotidiennement leurs proches donc ne sont pas entraînés à contenir leur agressivité.

Cela fait pourtant partie des principes fondamentaux de l’éducation, au même titre qu’apprendre à dormir, manger, aller aux toilettes ou exprimer ses affects! Ces patients ont été sacrifiés sur l’autel d’une idéologie absolument déconnectée des besoins structurels de n’importe quel être humain. Et je souffre avec eux du cynisme avec lequel certains vendeurs de positivité continuent à mépriser leur souffrance.

Votre attaque virulente de ce que vous percevez comme les dérives de l'éducation positive, et que vous exposez via vos livres, vos podcasts et vos chroniques, semble pourtant ne plus résonner seule. Depuis quelques mois, nombre d'ouvrages prônant davantage de fermeté et d'autorité dans l'éducation sont sortis en librairie. Vous a-t-on enfin entendue?
Honnêtement, mes constats cliniques sont ceux d’absolument toute la pédopsychiatrie. Certains prestigieux spécialistes en pédopsychiatrie et en psychopathologie avaient déjà distillé avant moi ces messages de nécessité d’une reprise de l’autorité dans l’éducation, mais la limite de leur démarche est peut-être qu'ils n’ont pas proposé de solutions pragmatiques à sa mise en place. Ce que j’ai apporté personnellement, c’est probablement la démocratisation du «time-out», ou mise à l’écart temporaire hors de l’espace commun. Que tous reconnaissent également comme une alternative fonctionnelle et juste pour les enfants.

Ce fameux «file dans ta chambre» qui donnait son nom à l'un de vos ouvrages si polémique publié en 2020?
Oui, pour la petite histoire, j'avais mis au point de façon tout à fait intuitive cette méthode consistant à envoyer l'enfant qui dépasse les limites dans sa chambre pendant quelques minutes, une exclusion sociale symbolique devant lui faire comprendre qu'il ne peut pas se comporter comme cela pour s’ajuster au confort des autres et en tirer des bénéfices narcissiques et relationnels évidents. C’est, ensuite, que j'ai découvert l’existence de cette littérature scientifique la préconisant pour éviter les violences éducatives.

Vous pensez avoir remporté le combat, avoir fait basculer l’opinion?

Je sens en effet qu'un mouvement de fond s'est opéré. Les vendeurs utopistes de livres et de méthodes de coaching surfant sur l'éducation bienveillante sont comme les adeptes radicaux de tout mouvement sectaire. Mais ils cèdent du terrain.

La preuve, il y a quelques jours, je lisais un post où une spécialiste autoproclamée conseillait, en cas de crise de l'enfant qui se roule par terre au supermarché, de lui faire un câlin et de s'asseoir avec lui en attendant qu'il se calme. Étrangement, j'ai alors vu s'aligner plus de 200 commentaires de gens outrés, fustigeant cette soi-disant méthode et se montrant ironiques envers ce genre de conseils. Cette vague sarcastique n'aurait jamais été possible il y a trois ans lorsque je faisais la promotion de mon livre File dans ta chambre. C'est bien le signe que les parents ne sont plus dupes face à cette imposture intellectuelle.

Comment voyez-vous la suite de votre croisade? Est-elle terminée?
Le seul terreau encore fâcheusement gangrené par cette idéologie me semble être le monde de la petite enfance, composé à la fois de parents d’enfants très jeunes (dont l’agitation n’apparaît par définition par encore censurée par la société) et par des personnels moins qualifiés qui se laissent plus facilement duper par les arguments neuroscientifiques dévoyés affichés par les gourous de ce mouvement. C’est préoccupant, parce que les enfants arrivent à l'école maternelle avec des attitudes difficilement compatibles d’une part avec les apprentissage et d’autre part avec la vie sociale, le respect de leurs camarades. Cela fait partie des missions d’information que j’ai en tête pour les prochaines années!

Pourquoi? Petites leçons de psychologie pour les enfants de 8 à 11 ans, Caroline Goldman (Éd. Dunod), 96 p. © DR


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