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Définition du viol: Que change la révision du droit pénal?

Définition du viol: Que change la révision du droit pénal?

En 2021 à Lausanne, des activistes manifestaient leur soutien à une victime de viol, dont l'un des agresseurs a vu sa peine réduite par la Cour d’appel de Bâle, qui a estimé que la femme avait «joué avec le feu».

© KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI

«Seul un oui est un oui», «non c’est non»… Le chemin vers une révision du code pénal suisse en matière sexuelle, jugé archaïque, a été long, et le débat politique, agité. Après plus d'une année de discussions, le Conseil des États et le Conseil national se sont mis d'accord en juin 2023 sur la variante à adopter. Ainsi, la formule du refus, «non c’est non», est entrée en vigueur le 1er juillet 2024. Modèle accepté par le National seulement lorsqu'il a été proposé de tenir compte de l'état de sidération.

Les organisations de défense des droits des femmes privilégiaient toutefois «seul un oui est un oui», formule qui requiert le consentement avant tout acte sexuel. «Le principe du consentement doit entrer dans la loi et dans les esprits, comme nous l’avons souligné depuis le début de notre campagne, commente Cyrielle Huguenot, responsable Droits des femmes à Amnesty Suisse dans un communiqué publié le 27 juin 2024. Pour que l’importance du consentement sexuel soit reconnue et pratiquée au quotidien par toutes et tous, il faut continuer à axer la prévention autour du message «seul un oui est un oui». Il doit être évident qu’un rapport sexuel requiert un consentement mutuel», conclut Amnesty Suisse, qui salue tout de même l'avancée de la réforme «non c’est non».

Qu'est-ce qui va changer?

Les articles 189 (Atteinte et contrainte sexuelles) et 190 (Viol) ont été retravaillés. Ceux-ci stipulent désormais que les hommes tout comme les femmes peuvent être victimes de viol ou de contrainte sexuelle, puisque l'article de loi est rédigé de manière non genrée. La condition de la menace ou de la violence ne sera plus nécessaire pour que l'infraction soit réalisée: si la victime a fait comprendre – par des mots ou des gestes – qu'elle ne souhaite pas la relation sexuelle, le viol pourra être reconnu. L'état de sidération est également considéré comme une expression de refus. En outre, seule une pénétration vaginale par un pénis pouvait auparavant être la condition d'un viol, contre toute pénétration du corps désormais.

Autres modifications du code pénal, le stealthing, ou le fait de ne pas utiliser ou d'ôter un préservatif à l'insu du ou de la partenaire sera réprimé, tout comme le revenge porn ou la pornodivulgation, soit le partage de contenus privés à caractère sexuel non consenti par la personne représentée.

Professeure ordinaire et directrice de l'Institut des études genre à l'Université de Genève, la sociologue Marylène Lieber a publié en septembre 2023 Oui, c'est oui. Le consentement à l'épreuve de la justice, un court ouvrage disponible en libre accès. Il présente une étude basée sur les dossiers de la chaîne pénale genevoise interrogeant l'accès à la justice pour les victimes, mais aussi les enjeux et les limites de cette révision du code pénal en matière sexuelle.

FEMINA La nouvelle définition du viol est entrée en vigueur le 1er juillet 2024. Qu'est-ce que ça va changer?
Marylène Lieber C’est un grand pas en avant. D'une part, la nouvelle formulation efface la dimension sexo-spécifique qui voulait qu’aux yeux du droit, seule une femme pouvait être violée. La reconnaissance du fait que les hommes peuvent être victimes de viol est bien sûr très importante. D'autre part, le droit reconnaît des évolutions sociétales et intègre des savoirs psychologiques et médicaux sur l'état de sidération. Cependant, on sait que modifier la loi ne change pas tout, puisque le droit est appliqué par des personnes qui, comme tout le monde, ont des biais de représentation, ce qui a une incidence sur la pratique du jugement.

La question du consentement est centrale dans cette révision.
En effet. C’était tout l’enjeu de la mobilisation qui a amené à la nouvelle formulation. Le débat a concerné la définition juridique du consentement et a insisté sur l’importance de se défaire de la notion de contrainte, qui engage à s’intéresser avant tout à la résistance dont aurait fait preuve la victime. Aujourd’hui, on sait que la justice est efficace pour qualifier les violences sexuelles qui sont perpétrées par un inconnu, quand on l’a retrouvé, mais beaucoup moins quand l'auteur et la victime se connaissent, ce qui est le cas la plupart du temps. Les recherches montre qu’il existe dans la mise en œuvre du droit une «présomption de consentement», voire une définition extensive du consentement, c’est-à-dire que le fait d’avoir consenti une fois engagerait pour toutes les fois.

L’enjeu, aujourd’hui, c’est de savoir comment cette définition du consentement va être appliquée, tout comme la façon dont la notion de sidération va être traitée et mise en pratique.

La version «non c’est non» suffit-elle, puisque cet état de sidération est pris en compte?
À titre personnel, et comme la plupart des associations de soutien aux victimes, j’aurais préféré la version du «seul un oui est un oui», mais des professionnel-le-s de la justice ont trouvé que le refus explicite serait plus facilement objectivable avec la formulation qui a été adoptée. Pourtant, en termes de genre, cela aurait permis de se défaire d’un double standard normatif encore très présent, qui distingue sexualité masculine (active) et féminine (passive), et selon lequel la responsabilité incombe aux femmes d’empêcher l’accès à leur corps. Une telle perspective aurait permis d’introduire une représentation des relations sexuelles où chacune des parties doit se soucier du consentement explicite de ses partenaires.

La version actuelle perpétue l'idée que le corps des femmes est disponible sauf quand elles disent non. Le «seul un oui est un oui» aurait permis de rompre avec cette ambiguïté.

Avant les condamnations, il faudrait que les victimes puissent porter plainte.
Oui… Le système pénal, en Suisse comme ailleurs, n'est pas très efficace concernant les violences sexuelles et les victimes le savent (ndlr: 22% des femmes à partir de 16 ans ont subi des actes sexuels non consentis et 8% ont porté plainte, d'après une enquête de 2019 mandatée par Amnesty International). Il est déjà difficile de se dire victime et d'être crue.

Puis le fait de porter plainte peut amener ce qu’on appelle une «victimisation secondaire».

Les procédures sont longues, il faut raconter son agression à de nombreuses reprises et le risque est grand de ne pas voir son préjudice reconnu, d’avoir le sentiment encore une fois de ne pas être cru-e. Enfin, il arrive que la justice ne soit pas la forme de réparation dont on a besoin.

Que reste-t-il à faire pour combattre plus efficacement les violences sexuelles en Suisse?
Continuer à en parler. Sensibiliser les jeunes au consentement, aux relations sexuelles, à l'amour et aux enjeux de genre qui charrient ce double standard en matière sexuelle. Les professionnel-le-s de la justice doivent également être formé-e-s aux enjeux spécifiques des violences sexuelles, comme l'état de sidération. Soulignons que des changements positifs ont déjà été initiés, par exemple dans le canton de Vaud, qui examine la possibilité de créer un lieu unique dédié au soutien des victimes, afin de faciliter leur prise en charge et limiter le processus de victimisation secondaire.


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