Droits bafoués: Latifa, la princesse de Dubaï séquestrée

C’est l’histoire d’une princesse. Pas de ces merveilleux «il était une fois», mais un effroyable récit digne d’un thriller d’espionnage. Une héroïne à qui l’on refuse sa fin heureuse. Rien ne présageait que Latifa al-Maktoum, née en 1985 aux Émirats arabes unis dans l’une des familles les plus puissantes de la planète, verrait sa destinée faste la précipiter derrière les barreaux d’une villa surveillée. Ou plutôt, tout le laissait supposer. Malgré ses proclamations publiques en faveur de l’égalité, l’autocratie du Golfe est habituée aux détentions arbitraires et à l’anéantissement des femmes de la famille royale qui n’entrent pas dans les rangs. Avant Latifa, comme sans doute après elle, sa demi-sœur (la princesse Shamsa), sa belle-mère (la princesse Haya), une tante, des cousines ou peut-être des amies rebelles, souhaitant fuir la main de fer patriarcale pour trouver un souffle de liberté, ont subi ce sort: intimidation, enlèvement, séquestration, torture. Silenciation.

Latifa est la fille du cheikh Mohammed al-Maktoum, émir de Dubaï et premier ministre des Émirats arabes unis, et de l’une de ses six épouses, l’Algérienne Houria Lamara. Séparée de ses parents, la petite fille est offerte à une tante cruelle sans enfants et grandit enfermée dans un palais. Seule lumière dans sa vie, Shamsa, sa demi-sœur aînée insoumise. Quand Latifa a 14 ans, Shamsa lui propose de s’enfuir. L’ado reste silencieuse. «Ce moment est resté gravé dans ma mémoire, parce que si j’avais dit oui, peut-être que l’issue aurait été différente», écrit-elle, propos rapportés dans une longue enquête du New Yorker.

Latifa, enfermée pendant 13 mois

La jeune fille rêve de quitter sa famille abusive et de sauver Shamsa, capturée après sa fugue. Un soir de juin 2002, la princesse coupe ses longs cheveux, empoigne son sac à dos et s’enfuit de chez sa mère. Alors qu’elle franchit le mur de la résidence, elle réalise qu’elle est seule dehors pour la première fois.

Une course en taxi jusqu’à la frontière et un voyage à vélo à travers le désert plus tard, elle est attrapée et jetée en prison, où elle est enfermée pendant 13 mois et battue. Ramenée chez sa mère comme si rien ne s’était passé, Latifa, le cœur brisé, explose et réclame sa sœur. Un appel désespéré qui lui vaut deux ans supplémentaires de détention. En 2008, Shamsa sort de prison, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Enragée, Latifa se promet de préparer la fuite qui les rendra libres toutes les deux.

Un entraînement digne d’une espionne

Latifa contacte Tiina Jauhiainen en 2010, une expat finlandaise prof de capoeira, pour qu’elle l’aide à se préparer physiquement. Les deux femmes se lient d’amitié. La princesse émiratie engage ensuite dans son projet d’évasion Hervé Jaubert, un Français au passé trouble, auteur du livre Escape from Dubai. Elle parvient à se procurer un faux passeport, dans le but de naviguer vers l’Inde puis s’envoler vers les États-Unis et y demander l’asile, avec Tiina, mais sans Shamsa.

Février 2018. La princesse quitte Dubaï à bord d’une Audi avec Tiina. Près d’Oman, Latifa se cache dans le compartiment de la roue de secours et le duo traverse la frontière. À Mascate, elles rejoignent un complice français qui doit les mener en bateau gonflable à bord du Nostromo, le navire d’Hervé Jaubert qui exfiltera la prisonnière en eaux internationales. Une tempête se lève, et c’est finalement à jet-ski que les deux femmes rejoignent le Nostromo. La victoire est de courte durée: l’émir envoie un commando armé récupérer sa fille au large de Goa.

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De captive à disparue

Parée à tout, Latifa a filmé son témoignage avant de prendre le large. C’est ainsi que les mésaventures de cette inconnue du grand public s’éparpillent dans la presse internationale. Alors que le monde s’émeut, Latifa se réveille à Dubaï, séquestrée dans une villa. Le mouvement #FreeLatifa voit le jour. Sous pression, les Émirats fournissent une preuve de vie de la princesse lors d’un déjeuner organisé avec Mary Robinson, ex-présidente de l’Irlande et ancienne haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU.

Après coup, Robinson dira avoir été piégée. En avril 2019, ses amis du mouvement #FreeLatifa, dont fait partie Tiina, introduisent un téléphone dans la villa et entretiennent le contact avec la captive jusqu’en juillet 2020. Puis, plus de nouvelles. Alarmée, l’équipe transmet des vidéos à la BBC en février 2021 afin de visibiliser la situation de la princesse. «Je suis une otage. Cette villa a été transformée en prison. […] Tous les jours je m’inquiète pour ma sécurité et pour ma vie», l’entend-on murmurer.

Depuis, Latifa a été aperçue sur de rares photos publiées sur les réseaux sociaux à Dubaï, à Madrid, en Islande, en Autriche et à Paris, où elle a rencontré l’ex-présidente chilienne et haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Michelle Bachelet. Elle n’a jamais recontacté Tiina et ses autres amis, mais des déclarations en son nom assurent qu’elle se porte bien. Rassuré, le monde a détourné les yeux du destin de cette femme courageuse, qui, finalement vaincue, a peut-être négocié un accord avec son père. Latifa, on ne t’oublie pas.

Bio

• 5 décembre 1985 Naissance dans la famille royale émiratie.
• 2002 Première fuite qui lui coûte 13 mois de prison.
• Février-mars 2018 Tentative d’évasion par la mer.
• Juin 2020 Dernier contact avec ses amis du mouvement #FreeLatifa.
• 16 février 2021 La BBC diffuse des images tournées par Latifa dans sa villa, où elle est détenue depuis 2018.
• 2024 La scénariste de Winter Palace (Netflix/RTS), Lindsay Shapero, prépare une série en quatre épisodes intitulée The Escape sur l’extraordinaire tentative d’évasion de Latifa.