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École inclusive: Les enseignantes en quête de soutien

Ecole inclusive les enseignantes en quete de soutien1

Submergées par le travail, les enseignantes peinent à se réjouir de la rentrée scolaire.

© RETO CRAMERI

La rentrée scolaire 2024 est bien engagée dans les cantons romands. Une période souvent remplie de nouveautés réjouissantes pour les enfants. Mais pour une partie du corps enseignant, la fin de l’été est synonyme de boule au ventre. En cause, la charge de travail qui ne diminue pas malgré les revendications exprimées ces dernières années – et notamment celle induite par le système de l’école inclusive.

C’est du moins ce qu’exprime la note de 3,9 sur 6, soit «juste insuffisant», qui résulte du sondage sur la satisfaction professionnelle des enseignants, publié le 8 août 2024 par le Syndicat des enseignants romands (SER) et la faîtière des enseignantes et enseignants suisses (LCH). Un élément ressort de l’enquête: la masse de travail dans la branche reste très élevée, et a même légèrement augmenté depuis l’étude précédente, réalisée en 2014. Parmi les difficultés du terrain évoquées, un élément est particulièrement pointé du doigt: le manque de ressources nécessaires pour mener à bien l’école à visée inclusive. Cette thématique est également au centre d’une pétition, lancée début juin 2024. Intitulée «Plus de moyens financiers pour les classes de 1-2P» et déposée au Grand Conseil vaudois, elle comporte sept revendications et relate la fatigue des maîtresses d’école enfantine qui, par ce biais, cherchent à «alerter les autorités de la gravité de la situation et appeler urgemment à l’aide».

La gravité, l’urgence? Pour l’expliquer et souligner l’ampleur des problèmes auxquels elles sont confrontées, quatre enseignantes romandes du cycle primaire ont accepté de témoigner, mais de façon anonyme, le sujet demeurant délicat.

École inclusive, entre théorie et pratique

Le système de l’école inclusive vise à permettre aux enfants avec des difficultés de suivre le cursus scolaire ordinaire, avec l’appui d’enseignantes spécialisées. Unanimes, les institutrices interrogées relèvent qu’il existe toutefois un fossé entre la théorie et la pratique et que leur charge de travail en est alourdie:

«L’idée de l’école inclusive est louable, mais sur le terrain, c’est plus que compliqué», explique Solène*, qui enseigne dans le canton de Vaud depuis sept ans. «En terminant ma formation, je savais que ce métier était compliqué. Mais je ne m’attendais pas à ça.»

C’est-à-dire? Les élèves à besoins spécifiques accueillis dans les établissements scolaires ont des profils de plus en plus variés, nécessitant de facto des suivis particuliers. Certains souffrent de dyslexie ou d’un trouble de l’attention, d’autres se trouvent en situation de handicap physique ou se situent sur le spectre de l’autisme. Geneviève* raconte notamment s’être occupée d’un garçon en chaise roulante, avec des soins médicaux importants. «Il a beaucoup loupé l’école à cause de sa maladie, raconte-t-elle. Il a pris du retard sur le programme et était en décalage avec le niveau de ses camarades. C’était une situation très compliquée, autant pour nous que pour lui.» Geneviève, qui mentionne les différences d’une volée à l’autre, accueille cette année cinq élèves à besoins particuliers dans sa classe de 18. «Ils et elles ont des grosses difficultés scolaires ou des problèmes d’attention. Certains font des crises et explosent émotionnellement à tout moment de la journée.»

Une expérience partagée par Patricia*, qui travaille depuis huit ans dans le canton de Neuchâtel. Cette année, près d’un tiers de sa volée nécessite un suivi individuel. «Il y a tellement de spécificités qu’il faudrait presque faire un programme pour chaque enfant, relève-t-elle. Mais avec 20 écoliers et écolières, c’est juste impossible.» Pour les maîtresses du premier cycle primaire, accueillant des petits de 4 à 8 ans, le défi est double: elles font souvent face à des jeunes pas encore diagnostiqués. «Lorsque nous repérons certains troubles chez un ou une élève, il est difficile de le faire entendre aux parents», complète Patricia. «Il faut parfois attendre le cycle  2 pour qu’il y ait réellement une prise en charge.»

Les ressources existantes

Pourtant, plusieurs dispositifs viennent aujourd’hui soutenir les professeurs dans ces tâches spécifiques. Dans certains cas, des enseignants et enseignantes spécialisées se rendent quelques périodes par semaine dans les classes, pour apporter leur expertise. Ils et elles interviennent lorsque les mesures d’adaptation mises en place par les professeurs ordinaires ne suffisent pas à prendre en compte les besoins de l’élève. La direction des établissements scolaires peut aussi demander l’appui d’assistantes à l’intégration, pour soutenir la socialisation et les gestes quotidiens des enfants ayant une déficience ou un trouble de la mobilité. Des soutiens psychologiques peuvent également être mis à disposition du corps enseignant, ainsi que des prestations indirectes, telles que des formations ou des conseils.

Mais cela ne suffit parfois pas. Si bien que, de leur côté, les professeurs tendent à mettre en place des systèmes personnels pour accompagner au mieux chaque élève. Certaines d’entre elles réalisent des tests aménagés, adaptés au niveau de chacun. Ces derniers comportent notamment moins d’exercices ou sont écrits avec une police plus grande. «On adapte nos programmes et on change les modalités d’évaluation, témoigne Geneviève. Ça exige beaucoup de souplesse.» Durant les évaluations, des temps additionnels peuvent être accordés aux jeunes à difficultés. Parfois, les professeurs doivent également adapter le matériel, comme l’a fait Solène, qui a accueilli une élève avec une déficience visuelle: «Nous avons dû organiser la mise en place d’un ordinateur adapté à sa situation, pour qu’elle puisse suivre le programme.»

L’ensemble de ces dispositifs, établis par les départements cantonaux de l’enseignement, les différents établissements ou encore le corps enseignant, ne semble toutefois pas suffisant. Sans l’appui des enseignantes spécialisées, les profs se retrouvent souvent submergés par le travail. «C’est très difficile de s’occuper efficacement de ces élèves à besoins particuliers sans avoir l’impression de délaisser les 20 autres membres de la classe», regrette Solène. Nos intervenantes tiennent aussi à souligner qu’elles n’ont pas suivi la même formation que leurs collègues spécialisées, et ne détiennent donc pas les mêmes outils.

«On se sent parfois très seule face à la situation, témoigne Geneviève. On nous demande de nous occuper d’enfants sur le spectre de l’autisme, alors que nous n’avons pas forcément toutes les connaissances nécessaires pour le faire. C’est une pression en plus.»
© RETO CRAMERI

Un coup sur le moral

Autre sujet de doléances: le poids de ce surcroît de travail sur leur moral. Deux de nos interlocutrices disent avoir déjà frôlé le burn-out, malgré la passion qu’elles ressentent pour ce métier. «J’essayais de tenir, de ne pas me faire remplacer, mais j’étais épuisée physiquement et psychologiquement, confie Patricia. En fin de journée, je n’en pouvais plus.» D’autres admettent avoir déjà envisagé la reconversion professionnelle. «J’aime mon métier. Mais il me reste une dizaine d’années avant la retraite, et je ne suis pas sûre de pouvoir tenir dans ces conditions», indique Pascale*, maîtresse de 1re et 2e primaires depuis une vingtaine d’années. Cette surcharge de travail l’a poussée à participer au lancement de la pétition «Plus de moyens financiers pour les classes de 1-2P», qui compte aujourd’hui plus de 2200 signatures. «Cela nous a permis de constater que nos préoccupations étaient partagées par nombre d’enseignants, dans tout le canton», développe Pascale. «Pour relever les nombreux défis de l’école d’aujourd’hui, nous avons besoin d’aide dès maintenant. Nous ne pouvons pas attendre plusieurs années.»

Ce n’est pas tout: d’autres complications liées à la profession sont mentionnées, telles que l’augmentation des tâches administratives ou encore le manque de reconnaissance. Car même si l’enquête présentée le 22 août 2024 par le Conseil d’État genevois a montré que les élèves et les parents étaient globalement satisfaits de l’école publique, les enseignantes disent souffrir de la pression des parents trop intrusifs et du regard péjoratif de la société sur cette profession.

«Beaucoup de gens pensent que notre travail est simple. On nous rappelle souvent que l’on a beaucoup de vacances, que l’on finit tôt…, regrette Solène. Mais nous ne demandons pas des congés supplémentaires, nous demandons les outils nécessaires pour faire correctement notre métier!»

La nécessité d’aides supplémentaires

Geneviève, Solène, Pascale ou Patricia sont d’accord sur le type de ressources qui seraient nécessaires pour améliorer leurs conditions de travail. Entre autres, elles préconisent une hausse du nombre d’heures de soutien spécialisé, ou l’élaboration d’une autre forme de coenseignement, pour pouvoir s’occuper efficacement de l’ensemble de la classe. «Je suis convaincue que l’on est plus forte à deux, souligne Geneviève. Cela aiderait aussi beaucoup d’avoir des groupes de parole au sein des écoles, permettant de réfléchir à plusieurs sur un cas.» Des points soutenus par Pascale, qui ajoute: «Il est aussi important de valoriser le statut des aides à l’intégration. Elles font un travail colossal. Sans elles, on ne survivrait pas.» L’allégement des démarches constituerait un autre point d’amélioration. «C’est parfois très compliqué d’obtenir des heures de soutien spécialisé, souligne Patricia. Les demandes prennent du temps, et doivent être faites à l’avance.» La mise en place de classes à plus petits effectifs est aussi fortement sollicitée. Leur souhait? Une quinzaine d’élèves alors qu’elles en accueillent entre 18 et 22 – un chiffre correspondant à la taille moyenne des classes de primaire en Suisse romande qui, selon l’OFS, fluctue autour de 19 élèves. Selon elles, cette moyenne est bien trop haute, cependant elles ont conscience des limites budgétaires auxquelles se heurtent de telles mesures.

Cela dit, il est important de relever que les enseignantes interrogées ne se positionnent pas contre l’école inclusive, mais contre sa forme actuelle. Pour elles, au-delà des complications mentionnées, le système inclusif présente des aspects positifs. Patricia, qui a accueilli dans ses cours un garçon se situant sur le spectre de l’autisme, en témoigne. «C’est incroyable de voir les progrès qu’il a faits, et la manière dont il s’intègre avec le reste de la classe. Je pense que c’est une belle façon d’apprendre aux enfants à accepter les différences.» Un apprentissage qui, par les temps qui courent, apparaît primordial.

* noms d’emprunt

HEP: la mission de former au système inclusif

Au fil des dernières années, les hautes écoles pédagogiques (HEP) ont mis en place différentes ressources pour tenter de répondre au défi de l’école à visée inclusive. Des cours obligatoires et optionnels sur cette thématique sont proposés dans le cadre de la formation bachelor en enseignement primaire, ainsi que dans les formations pour les degrés secondaires. Pour être formé à l’intégralité des tâches d’enseignement en lien avec des élèves aux besoins éducatifs particuliers, il faut se tourner vers le master en enseignement spécialisé. Les HEP soulignent également leur offre de formations continues, destinée aux enseignantes et enseignants déjà en poste, ainsi que les ressources mises à disposition, telles que la plateforme semi-publique Isonomie, développée début 2024 par les quatre HEP romandes, ou la plateforme Capinclusion, portée par la HEP Vaud.

Outre ces mesures, la HEP du Valais, canton considéré comme précurseur en termes d’école inclusive, compte prochainement réviser l’entier du plan d’étude du bachelor pour l’enseignement primaire: «Les enjeux de la diversité et d’inclusion seront entre autres au centre de nos réflexions pour penser la formation et l’école de demain», expliquent la direction et les responsables des formations de la HEP-VS. Des approfondissements sont également à l’étude concernant le degré secondaire.


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