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Écoles romandes: Des médiatrices témoignent de leur travail

Ecoles romandes des mediatrices temoignent de leur travail

Présente dans la majorité des écoles romandes, la médiation tient un rôle toujours plus important dans la vie des élèves.

© GETTY IMAGES/SIPHOTOGRAPHY

Harcèlement, intimidation, difficultés d’intégration et problème à trouver sa place dans un groupe ou dans une famille recomposée, tensions et conflits familiaux, pression des parents qui veulent de bons résultats, anxiétés, profs épuisés et donc un rien tendus et peu à l’écoute… Autant de situations – non exhaustives – vécues par des élèves de tous âges et de tous milieux qui sont littéralement déposées dans les bureaux des médiateurs et médiatrices scolaires – dont la mission première est d’offrir un espace d’écoute non jugeant puis d’accompagner les jeunes dans leurs demandes.

De plus en plus plébiscitée, cette fonction existe désormais partout et, en Suisse romande, quasiment tous les établissements du primaire jusqu’au postobligatoire ont une ou plusieurs personnes dévolues (et dévouées) à ce rôle. Dans le canton de Vaud, précurseur en la matière puisque cette pratique existe depuis 1976, il y a aujourd’hui une véritable culture de la médiation.

«Le nombre de médiatrices et médiateurs scolaires a augmenté graduellement entre 2012 et 2024, passant de 210 à 340 aujourd’hui. Tous les lieux de formation en sont dotés», confirme Sophie Schubert-Grundisch, responsable cantonale de la médiation scolaire à l’Unité PSPS (Promotion de la Santé et Prévention en milieu Scolaire).

Ainsi, dans le canton, une formation spécifique en médiation de deux ans dispensée à la HEP Vaud (CAS PSPS – option médiation scolaire) est proposée aux enseignants, de même qu’à Bienne, à la HEP des cantons de Berne, du Jura et de Neuchâtel (CAS en médiation scolaire et éducationnelle), par exemple. Une double casquette qui séduit toujours plus le corps enseignant. Mais au fond, en quoi consiste la médiation? La parole à quelques professionnelles romandes…

«Nous faisons partie d’un réseau précieux»

Jessica Erard, responsable du CAS en milieu scolaire et éducationnel à la HEP-BEJUNE (Berne, Jura, Neuchâtel), a travaillé comme médiatrice scolaire pendant 13 ans

«Je pense que les problématiques qui habitent l’enfant n’ont pas beaucoup changé depuis 20 ans, même si l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux a pu compliquer sa vie. S’il reste toujours difficile pour lui d’exprimer ses émotions et ses sentiments, quels que soient son genre, son âge et sa culture, il sait toutefois qu’il peut compter sur nous: tout comme dans les cantons de Vaud ou du Valais, nous sommes également enseignantes et enseignants, ce qui nous rend très accessibles et nous permet de lui expliquer notre rôle – qui est notamment de l’écouter sans jugement et de l’accompagner.

Par ailleurs, on est aussi là pour prévenir les violences ou les comportements à risque et on doit donc évaluer ce qui arrive à l’élève, essayer de saisir un besoin qu’il ne sait pas ou ne peut pas toujours exprimer de manière explicite puis, de là, déterminer s’il faut qu’il soit soutenu plus largement, l’amener à prendre conscience qu’il n’y arrivera pas tout seul et qu’il a besoin d’autres professionnels autour de lui: ce réseau «multivoix» est très, très précieux pour l’aider. Je ne parle que de mon expérience, mais pendant et après la pandémie de Covid, par exemple, j’ai pu constater à quel point les enfants ont été nombreux à être en difficulté: outre la détresse générée par la solitude pendant le confinement, il leur a ensuite fallu réapprendre à vivre ensemble, retourner à des activités normales sans craindre de nouvelles mesures sanitaires… quand bien même la période n’était pas simple non plus pour les adultes!

Pour moi, si tous les cas sont marquants, il en est un qui m’a spécialement touchée: un jour, un élève s’approche de moi et me signifie qu’il est inquiet pour l’une de ses copines. Et à juste titre, puisque celle-ci avait posté un message de détresse assez sombre sur les réseaux sociaux. Nous avons travaillé ensemble et il a réussi à la convaincre de venir nous voir. Aujourd’hui, elle va très bien et je trouve merveilleux que cette magnifique amitié lui ait permis d’être prise en charge et entourée de manière adéquate.»

«Notre fonction s’est complexifiée au fil des années»

Sonia Quaglia, médiatrice dans l’établissement primaire Nyon Jura et Prangins

«J’ai une expérience de terrain de quatorze années, dans les petites classes jusqu’à la 8P, avec des problématiques très différentes qui se sont uniformisées au fil des années. Notamment avec l’arrivée des réseaux sociaux, et le fait que les enfants ont un téléphone portable de plus en plus jeunes. Notre fonction de médiation s’est complexifiée. On parle beaucoup d’intimidation, de harcèlement, mais il y a aussi d’autres thèmes abordés avec les enfants comme la gestion des émotions et des peurs, ainsi que les relations entre élèves qui se complexifient au vu de l’évolution liée à notre société. Mon travail est de leur donner plus de confiance et d’estime d’eux-mêmes, de les aider à développer des compétences socio-relationnelles.

Quand un élève vient me parler des insultes dont il est victime sur les réseaux sociaux, je lui explique que je ne peux pas prendre son téléphone et répondre moi-même. Je vérifie aussi si ses parents sont au courant, et on essaie de trouver avec lui comment faire au sein de l’école. J’aide les enfants à clarifier leurs besoins. Ma mission est aussi de les orienter vers d’autres partenaires de l’école dans certains cas, et de faire le lien entre l’élève et ces personnes. La médiation est un travail de réflexion qui s’inscrit dans une démarche de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. Il se fait aussi en réseau avec tous les partenaires de l’école, pour créer du lien et s’inscrit dans une globalité, pour améliorer le climat scolaire. Dans notre établissement nous avons mené plusieurs projets visant le bien-vivre ensemble et à créer un climat scolaire bienveillant entre tous les acteurs de l’école propice aux apprentissages.

Je suis «Sonia la médiatrice» pour les élèves, ils me connaissent, et ils savent que ma porte leur est ouverte pour leur offrir un espace d’écoute active et empathique. Le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire, c’est quand je reçois un petit mot me disant «merci», car nos entretiens auront peut-être permis de faire germer une petite graine afin de mobiliser leurs propres ressources pour plus d’autonomie et de responsabilisation dans leurs relations.»

«La capacité à négocier peut être renforcée»

Laetitia Magnin, médiatrice scolaire depuis 15 ans et cheffe du service de la médiation scolaire au sein du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du canton de Genève

Comme l’explique Laetitia Magnin, le système de médiation genevois en milieu scolaire est composé de différents organismes, dont le service de médiation scolaire. Celui-ci intervient à la demande, dans l’ensemble des établissements et services du département: «N’étant rattachées à aucun collège particulier, nous sommes des aides complémentaires en cas de difficultés particulièrement complexes. En clair, nous offrons un regard extérieur et notre mission, que nous remplissons souvent en binôme, consiste plutôt à calmer les désaccords ou conflits entre… parents-profs, parents-direction, prof-prof, prof-direction. Car les frictions entre adultes, quelles qu’elles soient, ont un impact sur l’enfant, sur son bien-être et donc, potentiellement, sur sa scolarité.

En général, rappeler cette donnée de base fait baisser la tension. Mais quand cela ne suffit pas et que le rapport de confiance est cassé, ce qui arrive dans les 150 à 200 dossiers que le service traite annuellement, nous devons faire en sorte de restaurer un lien et de fluidifier la communication entre les parties. Cela implique de prendre du temps: écouter, discuter, proposer des conseils, clarifier, accompagner et, si nécessaire, organiser des rencontres «mises à plat» entre les personnes impliquées. Quand il s’agit de quiproquos ou de mauvaises interprétations, on peut dénouer les choses assez vite, mais il m’est aussi arrivé de passer un à deux ans sur une médiation!

Les demandes les plus fréquentes? Des parents qui ont l’impression que leur enfant n’est pas protégé ou qu’ils ne sont pas entendus, des problèmes interpersonnels entre membres du corps enseignant, des directions débordées par des parents peut-être trop exigeants ou encore des professionnels qui se sentent agressés et en sont déstabilisés. En fait, en 15 ans de pratique, je constate que les sujets de désaccords ont peu évolué: l’exercice de l’autorité, les rôles et devoirs de l’école, la sécurité, la violence, le harcèlement et les rapports élèves-profs restent de gros enjeux et des champs de tensions. En revanche, à mon avis, la capacité à gérer des conflits a diminué et pourrait être renforcée: s’il est assez simple de faire part de nos besoins et de nos doléances, il s’avère plus compliqué de négocier et de trouver une solution en commun! Pourtant, je reste optimiste: même dans des situations que l’on pensait inextricables, on a réussi à restaurer un dialogue. Et puis je suis épatée par l’aptitude des enfants à ne pas se figer sur leur position, à rétablir du lien et à reconstruire quelque chose de neuf beaucoup plus vite que les adultes: une bonne source d’inspiration, non?»

«Les ados expriment leurs besoins»

Nicole Dufour Vindret, enseignante et médiatrice depuis 10 ans au niveau secondaire I à l’ES Échallens (VD)

«De prime abord, les ados n’ont pas forcément envie de venir parler à un adulte et préfèrent se confier à leurs amis, même si mes collègues médiateurs et moi, entre autres, leur expliquons que la médiation est un espace d’écoute active, où ils peuvent évoquer leurs difficultés, leurs soucis, que nous sommes là pour les accompagner dans leur réflexion au sujet de ce qu’ils et elles vivent.

En dix ans de médiation, je remarque que les adolescents ont un peu moins de difficulté à demander de l’aide et que les questions liées à la santé mentale sont abordées plus facilement – ce qui est bien sûr positif. Concrètement, outre les situations de harcèlement-intimidation régulièrement évoquées, et pour lesquelles les écoles sont dotées d’un dispositif (MPP- Méthode de la Préoccupation Partagée), les ados expriment leurs besoins et parlent, par exemple, des difficultés liées à la gestion des émotions, du trop-plein ou du stress qui peut les submerger, que ce soit dans le cadre scolaire, social ou familial – notamment lors d’un divorce ou quand ils sont mis sous pression par leurs parents, mais n’arrivent pas à répondre à leurs attentes en termes de notes et de résultats. Ma mission est d’accueillir et d’écouter les élèves, de leur permettre d’exprimer une demande, un besoin et de les accompagner dans la recherche de solutions face à des difficultés identifiées.

Dans certains cas plus complexes, mon rôle est d’orienter, d’accompagner les jeunes vers d’autres professionnelles et professionnels de l’institution, comme l’infirmière scolaire ou la psychologue scolaire. En effet, nous faisons partie d’un réseau très bien organisé et fonctionnel de personnes-ressources: enseignants, décanat, infirmière scolaire, éducateur, psychologue ou médecin scolaire qui, toutes, collaborent pour prendre soin et accompagner les élèves.

Par ailleurs, la deuxième partie importante de notre mission se concentre sur la promotion de la santé et la prévention par le biais d’une équipe de professionnels de l’école. Nous essayons d’être proactifs et proposons différents projets pour favoriser un climat scolaire bienveillant, sécure et propice aux apprentissages dans le but que les élèves se sentent bien dans un établissement où elles et ils ont plaisir à venir. De ce point de vue, en 10 ans, j’ai vu les choses s’améliorer – donc c’est faisable!»


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