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Société

Famille toxique: Couper les ponts pour retrouver le bonheur

Famille toxique des romandes ont reconstruit leur vie

«Si la souffrance est latente, que ce qui est dit n’est pas entendu, que plus on essaie de comprendre, plus on en souffre, alors on peut penser que le fait de couper les ponts est la seule solution possible.» Nicole Prieur, philosophe et thérapeute française

© GETTY IMGES/DARYNA ZAICHENKO

Il y a eu l’exil du prince Harry et de son épouse l’actrice américaine Meghan Markle, d’abord au Canada, puis en Californie, histoire de mettre un océan entre leur petite famille et les traditions séculaires pesantes de la royauté anglaise. Puis Shiloh, la fille d’Angelina Jolie et de Brad Pitt, qui a souhaité changer de nom le jour de ses 18 ans, pour entériner la rupture avec son père. Ou encore Caroline Darian, dont le livre Et j’ai cessé de t’appeler papa, est sorti en 2022, deux avant le procès ultramédiatisé de son père, Dominique Pelicot.

Si la rupture est parfois symbolique, plus souvent radicale, elle illustre la nécessité de s’affranchir des liens qui, parfois, étouffent. D’en finir aussi avec le poids que ces satanés liens du sang impose, de fuir un environnement toxique pour sa propre santé. .

Illusion du cocon

Environnement toxique. L’expression est lâchée. Prouvant ainsi que dans les milieux les plus favorisés comme dans les plus modestes, la famille, pourtant érigée comme valeur refuge en ces temps tourmentés, ne fait pas toujours le bonheur. Un constat qui, selon la philosophe et thérapeute française Nicole Prieur, qui a fait de ce sujet le thème central de son travail et de ses ouvrages, relève encore du tabou:

«Nous sommes socialement formatés par l’idéologie de la famille cocon. C’est un piège, car la famille est aussi le premier laboratoire de l’apprentissage de la souffrance et de l’injustice.

Plus largement, on a tendance à faire un clivage entre le public, qui est le lieu des oppositions et des conflits, et la famille, où règne le tout bon, le tout rose et où l’on peut justement digérer tout ce qui nous fait mal dans la société. C’est une illusion.» Un point de vue partagé par la doctoresse Alessandra Duc Marwood, directrice du centre de consultation familiale des Boréales au CHUV à Lausanne, qui reçoit des familles frappées par un contexte de violence physique ou psychologique: «On est dans un modèle de famille nucléaire sacro-sainte où la mère, notamment, est placée au centre. C’est un modèle défaillant, largement issu de la vision psychanalytique, qui ne va pas durer. Il y a une énorme pression culturelle, ne pas aimer ses parents, c’est tabou.»

La vision idyllique des relations induites par les liens du sang… Emma n’y croit pas une seconde. À l’aube de la cinquantaine, elle a décidé de couper les ponts avec sa famille une bonne fois pour toutes. Et d’en finir avec ce qu’elle appelle elle aussi le «sacro-saint lien familial». D’aussi loin qu’elle se souvienne, celle qui a grandi en Valais ne s’est jamais sentie bien au sein de la maison: «Je dois reconnaître que, lorsque j’étais enfant, ma mère s’occupait de moi. J’avais des gâteaux d’anniversaire, ce genre de choses. D’ailleurs, je pense qu’à l’époque, je l’aimais.» C’est à l’adolescence que les choses se gâtent: «Je me suis rendu compte que pour elle, je n’étais qu’un faire-valoir, un instrument qu’elle manipulait pour exister. Elle disait partout qu’elle avait sacrifié sa carrière à cause de moi, que j’étais la raison de tous ces échecs. À l’adolescence, je me suis rendu compte qu’elle était stupide, bêtement raciste. Et puis elle était surtout très jalouse de moi. Lors de mon parcours scolaire, j’ai été acceptée dans une école que je voulais intégrer par-dessus tout. Elle a intercepté la lettre qui m’annonçait la bonne nouvelle sans m’en faire part. Heureusement, devant mon absence de réponse, ils ont appelé à la maison et sont tombés sur moi. Je tombais des nues. J’ai vu de quoi elle était capable. Elle ne supportait pas que je réussisse là où elle avait échoué. C’est à cet âge-là que j’ai cessé de l’appeler maman pour n’utiliser que son prénom.»

Bourreau et victime

Pendant des années, Emma ne se résout pourtant pas à rompre la relation:

«Je me suis longtemps sentie un monstre de pouvoir penser ça de ma mère. Mais après plus de vingt ans de thérapie, j’en suis arrivée à la conclusion que je ne veux plus porter ce lien qui me fait souffrir.

Et je ne suis pas mauvaise parce que je ne veux plus la voir, contrairement à ce que certaines personnes tentent de me persuader. Je choque quand je dis cela, mais j’aurais aimé être orpheline de cette mère. J’en arrive même à me réjouir du jour où elle mourra car elle me mettra toujours dans une position où je suis le bourreau et elle la victime.»

S’il a fallu plus de vingt ans à Emma pour s’affranchir de cette mère qui ne lui voulait pas du bien, elle ne regrette pas une seconde sa décision. Pour Nicole Prieur, il faut parfois en arriver là pour parvenir à avancer: «Si la souffrance est latente, que ce qui est dit n’est pas entendu, que le sentiment d’incompréhension domine, que plus on essaie de comprendre, plus on en souffre, alors on peut penser que le fait de couper les ponts est la seule solution possible.» Quitte à passer pour la seule fautive: «Dans une famille, personne n’a la même grille de lecture des événements, chacun prend les choses avec sa subjectivité. ce qui explique que, parfois, les raisons des désaccords restent incomprises.» La doctoresse Alessandra Duc Marwood précise: «Le maintien du lien ne peut se faire que lorsqu’il y a une reconnaissance de ce qui ne va pas, ce qui impacte la relation.»

Pour Véronique Regamey, assistante sociale aux Boréales, le fait de soi-même devenir parents éclaire souvent sur une relation toxique: «Nous suivions une femme de 35 ans, victime de maltraitances physiques et psychologiques de la part de sa famille lorsqu’elle était enfant. Au retour d’une fête de famille, son petit garçon de 7 ans lui annonce qu’il ne veut plus se rendre dans sa famille. Lorsque sa maman essaie de comprendre, son fils lui explique: «Parce qu’ils te disent des choses méchantes qui te font pleurer.» Elle a réalisé que les violences psychologiques perduraient. En voyant le regard de son fils qui voulait la protéger, elle a décidé de mettre la distance que, jusqu’ici, elle n’était jamais parvenue à instaurer.»

Valeurs différentes

Pauline, 47 ans, n’a plus parlé avec sa maman, dont elle était pourtant en apparence très proche, depuis le mois de décembre dernier: «Mon frère a fait son coming out et elle ne l’a pas accepté. Comme elle a refusé de le recevoir avec son compagnon pour les Fêtes, je lui ai simplement dit que s’il en était ainsi, ma famille et moi ne serions pas là non plus. Cette situation n’a, en fait, que fait sauter les non-dits qui planaient depuis déjà longtemps et qui faussaient nos rapports. Il y a quinze ans, j’ai perdu mon père d’une longue maladie et quelques jours avant la fin, il m’avait confié m’avoir écrit une lettre que je pourrais lire quand il ne serait plus là. Je ne l’ai jamais eue. Ma mère m’a avoué l’avoir brûlée après l’avoir lue, sans doute jalouse de ce qu’il me disait à moi et pas à elle. Je pense que, depuis, je n’ai jamais pu surmonter ma colère envers elle et j’ai mis des années à comprendre ce qui me bloquait. Elle ne s’est jamais excusée de rien, comme elle ne remet pas en cause une seconde le comportement qu’elle a eu envers mon frère. C’est pour cette raison que j’ai claqué la porte. Depuis, je me sens beaucoup mieux. J’ai arrêté du jour au lendemain, avec l’accord de mon médecin, un traitement que je prenais depuis quatorze ans pour traiter une maladie chronique. Je n’avais plus aucun symptôme.»

Espoir de reconnexion

Si cette ultime dispute et cette rupture semblent avoir eu des effets bénéfiques, Pauline ne ferme tout de même pas la porte à un apaisement de la relation. Une solution toujours profitable selon Nicole Prieur, pour laquelle la séparation définitive laisse toujours des traces: «Quand le dialogue n’est plus possible, il est préférable de prendre ses distances symboliques et de solder les comptes. Ce qui veut dire se mettre face à ce que j’attends des autres et qu’ils ne sont pas en mesure de me donner et renoncer à attendre. Considérer qu’il puisse y avoir des pertes et des profits.» Pour, malgré tout, conserver le lien, la philosophe explique: «On peut tisser un lien en attachant de l’importance aux côtés positifs, en tenant compte par exemple des traits de caractère positifs que l’autre aura pu transmettre. C’est souvent sentimentalement moins coûteux.»

Du côté de ceux qui subissent la décision d’un proche de couper les ponts, la souffrance est aussi présente. Claire, 65 ans, en sait quelque chose, elle qui, depuis vingt ans, n’a plus parlé à sa sœur: «Nous sommes trois sœurs, Paulette est la cadette et moi la benjamine. Nous avons toujours été très proches.» Enfants, ensemble, elles font les quatre cents coups: «On était vraiment très complices, avec le même humour.» Étudiantes, elles partagent un même appartement, les mêmes amis, les mêmes sorties et tous leurs secrets. À l’âge adulte, les liens déjà forts se renforcent encore: «On se voyait très souvent, elle venait passer des séjours chez moi. À son divorce, elle s’est installée dans ma chambre d’amis pendant des mois. C’est la marraine de l’une de mes filles.» Les premières tensions apparaissent lorsque Paulette fait la connaissance de celui qui est aujourd’hui son mari: «Elle a commencé à critiquer mon mode de vie, à espacer ses visites chez moi comme chez nos parents qui habitaient à deux pas.» Jusqu’au clash final survenu alors que leur père est mourant.

«Ma mère, ma sœur aînée et moi n’avons jamais vraiment saisi les raisons pour lesquelles elle a coupé les ponts du jour au lendemain. Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal à comprendre et que, même vingt ans plus tard, je pense avec nostalgie à la relation magnifique que j’ai eue. L’année dernière, à l’enterrement de notre mère, je l’ai revue pour la première fois depuis toutes ces années. Je me suis dit qu’à nos âges, on pourrait être au-dessus de ça et entretenir au moins des rapports cordiaux à défaut d’être chaleureux. Mais non, elle a à peine dit bonjour, s’est assise loin de nous à l’église et est partie comme une voleuse à la fin. J’ai réalisé qu’avec la mort de la seule personne qui nous liait encore, c’était la dernière fois que je la voyais. C’est triste non?»


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