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Génération boomerang: Comment bien vivre un retour chez ses parents

Generation boomerang comment bien vivre un retour chez ses parents

Le phénomène des adultes qui retournent vivre chez leurs parents est toujours présent en 2024. Témoignages de Romandes et conseils de psychologues.

© GETTY IMAGES/NADIA BORMOTOVA

À la veille de la rentrée, on découvrait que le footballeur Xherdan Shaqiri, 32 ans, qui joue à nouveau au FC Bâle, avait préféré retourner habiter chez ses parents plutôt que de loger dans l’un des beaux hôtels de la ville médiévale. Si l’actualité s’avère insolite, voire anecdotique chez les stars, de nombreuses personnes sont contraintes de retourner chez leurs parents.

Créé en 2005 par la sociologue Barbara Mitchell, le concept de «génération boomerang» qualifie ces adultes qui emménagent à nouveau dans la maison familiale, par obligations financières, difficultés de santé ou émotionnelles. Dans son livre L’âge du boomerang, les transitions vers l’âge adulte dans les familles (non traduit en français), la Canadienne révèle en effet que 40% des jeunes Américain-e-s reviennent à leur première adresse. Aussi appelée yoyo pour leurs allées et venues chez maman papa, la génération boomerang semble toutefois un terme plus adéquat que la génération Tanguy, tirée du film du même nom. Rappelez-vous, en 2001 (déjà!), le héros ne voulait pas quitter le nid familial, mais finissait par y revenir dans l’ultime volet, Tanguy, le retour (2019). En référence cinématographique, on citera encore la comédie Marie-Francine (2017), ou Valérie Lemercier, divorcée et licenciée, retourne à 50 ans vivre chez ses parents.

En France, les adultes boomerang représentent 920 000 personnes, comme le démontre un rapport du DRESS, publié en 2020. Dans l’émission Zoom Zoom Zen de France Inter, Sandra Gaviria, autrice de Revenir en famille, devenir adulte autrement (Éd. Le Bord de l’eau, 2020), informe par ailleurs que «50% des enfants qui reviennent chez leurs parents ont moins de 40 ans, et y restent en moyenne moins de huit mois». En 2024, aux États-Unis, 57% des 18-24 ans logeaient chez leurs parents, renseignent des chiffres du Pew Research Center. Climat, chômage, inflation, coût d’habitation… Les difficultés sociales, toujours plus croissantes, et qui n’épargnent pas la Suisse, devraient amener encore à l’avenir les jeunes adultes – et moins jeunes – à sonner à la porte de leur(s) parent(s).

Monde post-Covid

Pourtant ce phénomène sociétal n’a rien de nouveau pour Virginie Megglé, autrice de Guérir de la peur de l’abandon: Comprendre la dépendance affective (Éd. Eyrolles) qui souligne qu’il y a toujours eu des séparations qui se soldaient par une occupation bis de la chambre dite de jeune fille. Pour la psychologue et psychanalyste, l’effet yoyo s’est toutefois accru depuis le Covid en 2020. «Même si la crise sanitaire et son lot d’inquiétudes ont interrompu des élans de vie de façon parfois traumatisante, remarque-t-elle, il y a eu des exemples de retours à la maison idylliques où toutes les conditions du bonheur étaient réunies, parce que la vie était en suspens.» L’autrice de Carnet d’auto-estime pour ne plus subir le sentiment d’imposture résume: «Parents et enfants de 30 et 40 ans ont trouvé divine l’idée de se retrouver ensemble, car c’était socialement autorisé.» En cela, on peut considérer que le Covid a popularisé l’effet boomerang.

Mais hors contexte pandémique, Marie, Lausannoise de 35 ans, fraîchement séparée de son conjoint, rappelle «qu’on a toujours l’impression qu’on ne va jamais avoir besoin de retourner chez ses parents». Dans son cas, elle habite actuellement dans la maison de famille, «par obligation», parce qu’elle n’arrivait plus à joindre les deux bouts.

Digérer le sentiment d’échec

Pour Jon Schmidt, psychologue thérapeute de famille à Lausanne, il convient de préciser le pourquoi du retour au foyer parental afin de mieux vivre les implications psychologiques:

«Dans la plupart des cas, le retour à la maison n’est ni souhaité ni anticipé par l’enfant devenu adulte. Cette décision résulte généralement d’une situation imprévue nécessitant une réponse urgente, telle qu’un divorce conflictuel ou la perte soudaine d’un emploi.»

Il prévient: «Ces événements sont particulièrement difficiles à gérer et à surmonter au cours d’une vie, et il est important que les parents ou les membres de la famille aidants en soient conscients. Il est également recommandé à la personne vivant une telle situation de ne pas se reposer uniquement sur ses parents pour obtenir du soutien, mais de bien identifier les autres personnes susceptibles de l’aider et de l’accompagner.»

De son côté, Virginie Megglé rapporte l’exemple de la fille d’une patiente qui se faisait harceler dans son job jusqu’à en faire un burn-out et devoir renoncer à son poste. Le modèle de réussite sociale est tellement valorisé et parfois même survalorisé que la chute est d’autant plus dure quand l’ascension professionnelle est brutalement interrompue. «Les adultes qui retournent à la maison peuvent éprouver un sentiment de honte et de culpabilité parce qu’ils se sentent diminués», analyse la psychanalyste, même s’ils doivent renoncer à un travail car les conditions pour l’exercer sont problématiques comme dans le cas de cette jeune femme. Un comble! «Avant de dire aux personnes concernées qu’il n’y a pas à avoir honte ni honte d’avoir honte, je leur conseille de considérer la douleur de leur échec, comme celle consécutive à un énorme hématome. C’est en acceptant ces sentiments toxiques qu’elles arriveront à mieux les dépasser», conseille l’experte.

May témoigne de ce sentiment de culpabilité à 28 ans, pourtant pile dans la fourchette d’âge des départs des jeunes en Suisse qui est de 20-30 ans, comme l’indique l’OFS. La Genevoise pensait rester six mois chez ses parents, le temps de se stabiliser financièrement entre son retour de Berne où elle travaillait et la reprise d’études puis d’un emploi à Genève. Elle passera finalement quatre ans à cause d’un éprouvant Covid long qui l’a rendue comme un «enfant malade», et un «légume».

«J’aurai fini à la rue s’ils n’avaient pas été là, confie avec émotion la jeune femme.

J’ai la chance d’avoir des parents avec qui je m’entends bien, dans ma famille, on n’a pas eu d’obligations de faire de longues études. Le contrat a toujours été «Vous pouvez rester à la maison tant que vous avancez». Au moment où mes frères et moi étions partis et que mes parents allaient enfin être tranquilles à deux, j’ai dû revenir car je n’avais aucune entrée financière. Je me suis considérée comme un poids.»

Vivre au mieux la remise en question

Force est de constater que le retour au foyer familial peut s’apparenter à un reset existentiel ardu. Marie, la Lausannoise de 35 ans, traverse des «remises en question fatigantes», néanmoins voit en la solution temporaire d’être chez ses parents comme une aide à mieux rebondir, «un tremplin ou un trampoline pour arriver à une nouvelle vie». Jon Schmidt, auteur du livre Adolescence en quête de sens, 12 récits de thérapie (Éd. LEP), observe: «Il n’existe pas de solution miracle face à une situation bouleversante ou dévastatrice, et je rencontre souvent des personnes qui se sentent totalement démunies dans de telles circonstances, observe-t-il. Pourtant, même dans cet état de vulnérabilité, elles sont déjà engagées dans un processus de redéfinition de soi, un mouvement vers l’après. Au bout du tunnel, il y a aussi la satisfaction de pouvoir regarder en arrière avec fierté, en se disant qu’ils ont su traverser tout cela.»

Dans les remises en question inhérentes aux retours a casa, Virginie Megglé voit une occasion de se réparer. «J’aime bien ce mot. Réparer, c’est parer à nouveau, comme on pare un bateau. Parer, d’ailleurs est de la même famille que parent. Le temps passé chez ses parents, c’est donc l’occasion de se réparer, de se faire du bien et de se mettre à l’écoute de soi», souligne la psychanalyste.

Dépasser le choc générationnel

Toutefois, il se peut que la cohabitation intergénérationnelle ne rime pas avec calme et sérénité. Rachel, actuellement en voyage en Indonésie et en Australie, l’a expérimentée il y a quatre ans. «En 2020, j’ai quitté le job, le copain, l’appart par obligation financière et vendu tous mes meubles», résume cette physiothérapeute qui a successivement démissionné à 26 puis à 30 ans, pour deux épuisements professionnels.

«Depuis avril 2024, j’ai déposé pour la seconde fois mes cartons et mes larmes chez ma maman», où elle est toujours bien accueillie, précise-t-elle.

Mais si la vie commune se passe bien, sa mère ne saisit pas immédiatement la volonté de sa fille à prendre soin de sa santé mentale en priorité et se préoccupe de sa participation au loyer. À son retour en Suisse où sa mère s’occupe gentiment de ses papiers administratifs, Rachel, pleine d’espoir, espère «trouver un nouvel équilibre de vie privée vie pro, avoir une cuisine, un canapé, et un endroit que l’on peut appeler maison».

Pour sa part, May voit, dans cette «quête d’indépendance, notre construction occidentale». Pour cela, celle qui se réjouit de retrouver bientôt des conversations avec ses parents plus intéressants que l’organisation des lessives considère qu’à un âge, «on n’a plus envie de ce rapport de colocataires avec ses parents». Un avis que partage Isaline, 29 ans aujourd’hui, qui est retournée vivre chez ses parents pour raisons financières à 23 ans après être partie faire une école de mode de trois ans à Paris. «En trois ans, la maison – et ses portes toujours grandes ouvertes – est devenue une tout autre maison, ma chambre, pleine de peluches, celle désormais des petits-enfants nés pendant mon absence. J’avais le sentiment que ma présence chez eux n’était plus trop dans l’ordre des choses, constate-t-elle. Il fallait vraiment redécoller, comme un avion qui atterrit sur sa piste puis repart.»

Cohabiter à nouveau

Un équilibre pas toujours facile à retrouver, «surtout quand on prend entre-temps son indépendance», note Isaline. Pas agréable de se faire engueuler parce qu’on rentre à 5 h du matin. «À 23 ans, on n’a plus envie de dire à nos parents, que je respecte par ailleurs: «Écoute, je suis majeure et vaccinée, je peux faire ma vie».» Dans le même temps, Marie rapporte aussi la difficulté de se sentir dans un lieu de transit aux contrôles fréquents, alors que ses parents lui demandent sans cesse: «Tu sors avec qui?» «Tu manges avec nous?» «Tu rentres à quelle heure?» Mais la directrice artistique s’interroge: «Est-ce finalement légitime d’imaginer mettre des limites à ses parents face à leurs questionnements incessants?»

En complément, Virginie Megglé rappelle que «même si on habitait dans des maisons de rêve de 300 m2, avec chacun son aile, on n’est pas fait pour vivre avec ses parents».

Elle analyse par ailleurs la question hormonale dans l’espace domestique. «On le voit quand les enfants grandissent, quand le fils de 13 ans prend une taille et devient d’un coup un homme, il a alors besoin d’espace supplémentaire.» En outre, «Il est aussi important de ne pas tomber dans une sorte d’infantilisme où l’on va reprocher à ses parents d’être ce qu’ils sont», note à juste titre la psychanalyste. «Parce que malgré tout, face à nos difficultés, les parents proposent de nous aider.» Et ont-ils au final le choix?

Quitter le nid, à nouveau

Sur le point des modes de vie (langage, horaires, repas, habitudes, etc.) aux antipodes entre enfants et parents, Jon Schmidt recommande d’établir dès le départ des règles de cohabitation claires. «À mon avis, considérer la situation comme «un retour de l’enfant à la maison» peut susciter de l’angoisse des deux côtés, en raison de la crainte de retomber dans le passé, indique-t-il. Il est préférable d’adopter un état d’esprit mutuel d’hôtes et d’invités, ou même d’établir une sorte de contrat de location. Définir des règles de vie commune, en tenant compte des repères de temps et d’espace, favorise une bonne entente.»

Marie, qui se demande combien de temps va durer son passage chez ses parents, peut se rassurer avec l’idée énoncée en début d’article que les enfants boomerang trouvent refuge chez leurs parents en moyenne huit mois.

Quand les conditions seront réunies, il faudra à nouveau quitter le nid. Virginie Megglé signale que huit mois, «c’est à peu près le temps d’une naissance symbolique».

Un dernier conseil à destination des parents? «J’entends souvent, «je voudrais que ma fille redevienne comme avant, ce serait mon plus grand bonheur». Mais je ne leur dis surtout pas! Pas d’injonction à l’idéal! Face à cet imprévisible, oubliez les apparences sociales et mettez-vous à l’écoute une dernière fois de ce qui se passe sous votre toit.»

Enfants boomerang: les impacts sur les parents

En Angleterre, où le coût du logement et la précarité de l’emploi poussent en moyenne un quart des jeunes adultes à vivre chez leurs parents, on peut s’interroger si cette situation a des conséquences négatives sur le bien-être des parents. C’est ce qu’ont voulu démontrer en 2018 des chercheurs de la London School of Economics and Political Science qui ont étudié la qualité de vie de géniteurs âgés de 50 à 75 ans contraints à accueillir leur descendance chez eux. Menée dans 17 pays européens dont la Suisse, l’étude a démontré que cet événement diminuait le point d’indice en moyenne de 0,8 point, soit autant qu’un handicap dû à la vieillesse, comme avoir des difficultés à marcher ou à s’habiller.

Témoignage de Marine*, 53 ans: «Zut, mes filles sont de retour à la maison»

«J’ai eu ma première fille à 23 ans, et depuis je n’ai cessé de courir entre les enfants et un travail à 100%. Il y a deux ans, elles ont quitté le nid familial. Un moment difficile – même l’appartement semblait désemparé – rapidement remplacé par un incroyable sentiment de liberté. Mon mari et moi pouvions passer les dimanches matin au lit, laisser les portes ouvertes, il n’y avait plus d’embouteillages à la salle de bains, mes affaires restaient à leur place. J’avais l’impression de retrouver ma jeunesse, et mon couple aussi. Puis les filles sont revenues, pour des raisons professionnelles. Me revoilà à remplir le frigo et passer des soirées en famille. Si c’est un bonheur de nous voir réunis, il y a aussi un temps pour tout. J’aimerais disposer de quelques années où je n’ai à penser qu’à moi-même.»

*nom connu la rédaction


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