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IA: Quels impacts dans la vie des femmes?

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«Il y a de fortes chances (ou risques) que si vous n’apprenez pas à utiliser ces outils d'intelligences artificielles, vous n'arriverez pas à vous transformer professionnellement.» - Aurélie Jean

© ISTOCK/GETTY IMAGES PLUS

Avec les actualités de ChatGPT-4o (le dernier ChatGPT d’OpenAI) et d’Apple Intelligence, soit Apple qui va ajouter en 2025 dans ses appareils des fonctionnalités d'IA générative qui pourront par exemples, transcrire des enregistrements audio ou des appels, corriger des textes dans un style souhaité, et dialoguer comme jamais avec l'assistant vocal Siri… Les intelligences artificielles se développent à vitesse grand V, rendant la machine difficile à suivre. Aurélie Jean, docteure en sciences, entrepreneure, spécialiste en science algorithmique et autrice d’Algorithmes, bientôt maîtres du monde? (Éd. de La Martinière), nous éclaire sur les questions que l’on peut se poser sur l’influence de l’IA dans notre vie privée et professionnelle.

FEMINA Les critiques sur l’intelligence artificielle puisent souvent leur inspiration dans des scénarios de dystopies. Or, l’IA est déjà partout dans nos vies, nos smartphones, nos ordinateurs... Pouvez-vous rappeler son fonctionnement?
Aurélie Jean L’IA est à la fois une discipline et un ensemble de méthodes scientifiques pour modéliser et simuler un phénomène de la réalité dans l’objectif de répondre à une question ou de résoudre un problème. Cela étant dit, l’IA n’a rien d’intelligent au sens humain du terme, car elle ne maîtrise que l’intelligence analytique alors que nous, humains, maîtrisons toutes les intelligences comme décrites par le psychologue américain Robert Sternberg (1988): analytique, émotionnelle et créative, et pratique (le fameux bon sens). Même si on simule en partie certaines composantes, l’IA ne les maîtrise pas, la différence est importante.

Je parle pour ma part plus souvent de modèles algorithmiques qui sont entraînés et/ou calibrés sur des jeux de données. Comme un modèle entraîné à reconnaître la présence d’éléments comme un chien ou un enfant sur une photo, ou encore un modèle entraîné à vous suggérer du contenu sur les réseaux sociaux considérant vos préférences dans vos consommations de contenus.

Entendre, voir, dialoguer, consulter nos données… Les assistants virtuels comme Siri d’Apple vont rapidement prendre des airs du film HER, où Joaquin Phoenix tombe amoureux d’une IA à la voix de Scarlett Johansson.
Des cas similaires ont malheureusement déjà existé, jusqu’à quelques cas de propriétaires de ces agents qui ont réussi à se marier avec leur agent en Asie. Ces utilisateurs sont victimes d’un phénomène pourtant bien connu des concepteurs: l’effet Eliza, du nom du premier chatbot à l’écrit, conçu par le professeur Weizenbaum et son équipe au MIT en 1967. Ce chatbot échangeait à l’écrit avec des patients en psychothérapie (qui savaient qu’ils échangeaient avec une machine). L’agent ne faisait que 2 choses. Tout d’abord, il reprenait les phrases des patientes en les ré-écrivant sous forme d’interrogations, comme à la phrase d’un patient «Petit, je ne m’entendais pas avec mon frère», l’agent répondait «Petit, vous ne vous entendiez pas avec votre frère?». Puis l’agent écrivait régulièrement «Je vous comprends».

Après quelques échanges, la plupart des patients développaient de l’empathie envers cette machine qui semblait s’intéresser à eux.

Depuis cette expérience, on parle d’effet Eliza quand on développe une empathie spontanée envers une machine, une IA, un outil algorithmique, qui possède des caractéristiques anthropomorphiques (similaires aux humains).

Les IAs peuvent-elles aussi nous faire changer notre propre comportement et notre caractère?
La sociologue américaine Danah Boyd a proposé les termes de sphère publique à infrastructure physique (notre monde organique), et de sphère publique à infrastructure médiatique (le monde virtuel via les réseaux sociaux, les messageries instantanées, etc.). Elle explique entre autres que nos comportements dans la sphère à infrastructure médiatique influencent nos comportements dans la sphère à infrastructure physique.

Aussi, alors que nous nous observons mutuellement dans la sphère à infrastructure physique pour tendre vers un consensus comportemental avec une certaine urbanité, nous pouvons agir dans la sphère à infrastructure médiatique sans aucun filtre et sans être observé. Le comprendre c’est comprendre l’effet d’une sphère sur l’autre, et donc de rectifier ses agissements pour tendre vers plus de respect et de responsabilité. Si on le fait bien, on peut alors profiter de tous les bénéfices de la sphère à infrastructure médiatique tout en évitant les menaces.

Aurélie Jean
Aurélie Jean, docteure en sciences, entrepreneure, spécialiste en science algorithmique et autrice d’Algorithmes, bientôt maîtres du monde? (Éd. de La Martinière). © ALCIBADE COHEN

Doit-on avoir peur de l’accès croissant de l'IA dans notre sphère intime?
Il faut en comprendre les tenants et aboutissants à l’instar de la sphère non intime, avec des risques supplémentaires liés à notre vie intime qui est sans aucun doute la plus privée. La philosophe mexicaine et espagnole Carissa Véliz explique clairement dans son livre Privacy is Power comment nous sous-estimons le pouvoir de ses «absorbeurs de vies intimes» pour parler de ces technologies qui entrent dans nos foyers et donc dans nos vies privées. Là encore, permettre à chaque utilisatrice et utilisateur de comprendre ces technologies, et avoir des acteurs (propriétaires et concepteurs) responsables et éthiques, permettront d’éviter ces menaces.

En quoi l’évolution des assistants personnels pourra aider le quotidien des femmes?

Les assistants personnels aideront autant les hommes que les femmes dans la gestion de leur agenda et de certaines tâches constitutives de leur métier.

Ces mêmes assistants peuvent aussi vous assister dans votre vie personnelle. Mes parents américains, Jane et Brian Krantz, ont un assistant vocal qu’il utilise souvent pour prendre des notes, ajouter un élément sur la liste de course ou encore ajouter un rappel dans l’agenda. Je n’ai aucun assistant vocal à la maison et je désactive Siri sur mon téléphone portable, mais j’utilise de nombreux outils pour m’assister dans ma vie personnelle et professionnelle. Comme mon gestionnaire automatique d’emails qui classent et organisent mes dossiers d'archivage.

On connaît les applis santé, monitorant le cœur ou les menstruations. Vous avez co-fondé une startup deeptech (innovante) en algorithmique dans la détection précoce du cancer du sein. Que pourra faire l’IA dans le futur pour aider notre santé?
En santé et médecine, comme dans tous les domaines, l’IA va rendre des domaines plus prédictifs, plus personnalisés et plus précis… pour le meilleur! Il y a tellement de choses qu’on pourrait faire… et tellement de choses qui sont faites ou qui ont été faites et sur lesquelles on doit communiquer afin de faire prendre conscience du champ des possibles et des manières de profiter des bénéfices tout en écartant les risques intrinsèques à la science algorithmique comme la discrimination technologique. Par exemple, nous avons pu avoir un vaccin contre le Covid aussi rapidement car les médecins et chercheurs ont utilisé des modèles d’IA pour pré-sélectionner des protéines à tester in vitro.

On sait que l'IA génère de nouvelles formes d’inégalités femmes-hommes, amplifiant les stéréotypes préexistants dans la société et particulièrement dans le milieu professionnel. La tech combat-elle ces biais?
Les IAs transportent et amplifient les biais de genre selon deux mécanismes. Tout d’abord elles peuvent être entraînées sur des données d’aujourd’hui qui embarquent des biais sexistes qui existent bien dans la société mais qui, embarqués dans une technologie, deviennent un levier de propagation plus rapide de ces discriminations. C’est le cas de la suggestion de métiers à un-e étudiant-e qui peut voir un aspect genré des métiers… comme infirmière pour les femmes et docteur pour les hommes…

Aussi, ces IAs peuvent être construites sur des données du passé qui contiennent une représentation statistique d’une époque (possiblement sexiste) qui aujourd’hui n’a plus de raison d’exister, mais qui, embarquée dans une IA peuvent se reproduire à nouveau et s’amplifier.

© GETTY IMAGES/SORBET

Des études, relayés par le site Welcome to the jungle, démontrent que les femmes ont tendance à moins utiliser l'IA que les hommes en milieu professionnel. Pourquoi est-il important que l’on s’y mette davantage?
Je ne savais pas… Il me faudrait plus de temps pour lire en détail l’étude. Cela étant dit, il faut que tout le monde s’approprie ces outils algorithmiques et en deviennent des utilisateurs-trices éclairé-e-s, c'est-à-dire en sachant comment ces derniers fonctionnent.

D’un point de vue pratique, il y a de fortes chances (ou risques) que si vous n’apprenez pas à utiliser ces outils, vous n'arriverez pas à vous transformer professionnellement en identifiant les tâches constitutives de votre métiers qui sont possiblement remplaçables par une IA, celles qui peuvent être aidées par une IA, ou encore celles que seul vous pouvez faire.

En cela, l’entreprise a selon moi une responsabilité morale à former tous ses collaborateurs, peu importe leur niveau d’éducation. J’ai su expliquer de nombreux concepts à ma Mamy et lui apprendre à utiliser certains outils, donc c’est possible! (rires…)

L’IA peut venir en effet en renfort dans l’organisation du travail, mais comment peut-elle aider davantage dans la gestion de la vie privée, aujourd’hui ou à l’avenir?

Cela ne me parait pas idiot de penser que certains outils qu’on utilise sur le lieu de travail peuvent être utilisés dans nos vies personnelles quotidiennes (et c’est déjà le cas!).

Le simple gestionnaire d’emails intelligent, un outil de speech-to-text pour dicter une note, un mail ou encore un texto, voire un traducteur automatique à l’écrit et à l’oral. Concernant les assistants divers et variés pourquoi pas non plus. Le plus important est, que ce soit dans le domaine professionnel ou personnel, de définir correctement ses besoins et de les adresser avec les outils qui satisfont nos exigences en termes de prix, de respect des droits fondamentaux ou encore de facilité de prise en main.

Que penser de l’accès des enfants aux fonctionnalités d’IA en général?
Difficile à dire, je ne travaille pas sur ce sujet. Cela étant dit, il faut sortir du mythe que les enfants comprendraient mieux que les adultes (et en particulier les séniors) les technologies d’IA. En pratique, certes, les jeunes les utilisent mieux mais ils ne comprennent pas comment ils fonctionnent.

Je remarque souvent que les séniors me posent les bonnes questions sur le fonctionnement de ces outils. Il faut s’attacher à enseigner très tôt aux enfants puis aux ados le fonctionnement intrinsèque de ces technologies. Dès la maternelle (dès 4 ans, ndlr), une organisation comme COLORI (en France, ndlr) fondée par Amélia Matar enseigne les sciences informatiques sans écran d’ordinateur. Au lycée, chaque étudiant-e reçoit un cours introductif à la science algorithmique, c’est un bon début mais il faut bien évidemment aller encore plus loin.

À l’approche de l’été et pour terminer: l’IA va-t-elle changer le paysage de nos vacances?
Mon conseil pour les vacances: mettez vos téléphones dans une pièce comme si c’était un téléphone fixe (j’adore faire cela!), n’utilisez pas vos ordinateurs, ne portez aucune montre et laissez vous bercez par le temps qui passe et les souvenirs qui se construisent… car c’est en appréciant des moments sans outils algorithmiques qu’on saura mieux profiter de ces mêmes outils avec un meilleur œil critique… pour le meilleur!

Des ressources pour mieux comprendre l’IA

ChatGPT, Bard, Copilot, Dall-E, Leonardo Ai, MidJourney, Otter.ai: Des recherches en ligne dédiées permettent de s’essayer aux intelligences artificielles les plus connues. On peut demander, par exemple, à ChatGPT de rédiger un e-mail ou un tableau de tâches pour la maison. Dall-E, elle, aide à la création de visuels pour donner un twist moderne à une présentation professionnelle. En attendant Apple Intelligence en 2025, Otter.ai retranscrit des visioconférences. Dans la plupart des cas, il faut apprendre à saisir des prompts, soit rédiger une demande précise à l’IA, sans nos voeux, rien ne se passe.

Les bases de ChatGPT: Grâce à sa formation gratuite de 45 minutes, le Romand Matthieu Corthésy, formateur ChatGPT et IA, propose sur son site les fondamentaux de ChatGPT et pour les personnes qui le souhaitent, un accompagnement sur mesure. L’auteur de ChatGPT en entreprise - Le guide complet pour maximiser votre productivité (Éd. Diateino), qui enseigne au CFJM, propose également une newsletter IA.

Les prompts de Pauline: Très active sur Instagram, la Française Pauline Ebel apprend à sa communauté comment faire des bons prompts et propose aussi une newsletter sur l’IA. Sur ses reels, on découvre, pêle-mêle, les bonnes raisons d’utiliser Chat GPT sur son téléphone, comment rédiger des posts Linkedin 10 fois plus vite qu’avec ChatGPT et faire un tableau Excel avec ChatGPT.

Spécialiste en Intelligence Artificielle: Conçu pour les professionnel-le-s du marketing, de la vente et de la communication, le SAWI, à Lausanne, donne des cours payants 100% visio pour celles et ceux qui veulent perfectionner leurs connaissances dans le domaine.

Ex machina, l'ère des algorithmes: Du nom du film éponyme, le podcast de l'Université Paris dauphine-PSL, disponible sur toutes les plateformes, décrypte l'impact de l'IA dans notre vie privée comme professionnelle.

LaborIA, le podcast: Dans des épisodes de 15 à 20 minutes disponibles sur toutes les plateformes, le programme décortique aussi l'impact de l'IA sur le travail.

Culture tech: Publiée par Kessel Média, cette newsletter permet de se tenir informé-e des actualités en matière d’IA et donne des conseils comment l’utiliser.

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