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Masculinité toxique

Idéologie masculiniste: L’inquiétante montée des incels

Les masculinistes sortent de plus en plus de l'ombre

Si le masculinisme se satisfait souvent de jouer le Calimero dans les médias, cette idéologie est aussi l’inspiratrice de plusieurs attentats terroristes ayant tué tout autour du globe.

© GETTY IMAGES/LARISA BOZHIKOVA

Elles défilaient pacifiquement dans l’espoir d’un monde moins hostile aux femmes. On leur a répondu par la violence. Vendredi 14 juin 2024 à Lausanne, des individus identifiés comme des hommes d’ultradroite s’en sont pris physiquement aux manifestantes. Deux d’entre elles ont ainsi reçu des coups et des projectiles leur occasionnant des blessures sérieuses.

Difficile de ne pas voir dans cette agression l’expression de l’idéologie masculiniste, qui, depuis des années, progresse, rampante, dans les esprits et dans les débats publics pour contester les droits des femmes, parfois même les plus élémentaires. Derrière ce regain inquiétant? Des gens affirmant que les hommes sont menacés par les acquis du féminisme. Portrait d’une idéologie nauséabonde façon abécédaire.

A comme «alpha male»

Aux yeux des masculinistes, ce devrait être l’objectif de tout homme qui se respecte, sa place idéale dans la société. Reprenant le terme forgé par le biologiste David Mech au XXe siècle lors de ses travaux sur les loups, ils valorisent la quête du pouvoir et l’ascension vers le pyramidion de la hiérarchie. À l’opposé, les «beta males», eux, seraient ces hommes soumis – ici, ils le sont par le féminisme – acceptant la domination du groupe et endossant, par là même, une attitude quasi féminine.

C comme «contre-attaque»

En janvier, une étude du Haut Conseil à l’égalité, en France, révélait que 37% des hommes considèrent que le féminisme menace leur place dans la société. Un sentiment réactionnaire en hausse dans nombre de pays occidentaux, en particulier chez les jeunes.

En France toujours, l’avènement d’une extrême droite aux portes du pouvoir, qui n’a jamais été aussi proche de gouverner depuis 1945, frange politique réactionnaire constituant le creuset du masculinisme, montre d’ailleurs que cette offensive contre le féminisme est en train de remonter, par capillarité, jusque dans les institutions.

I comme «influenceurs»

Comme nombre de communautés et de cultures en ligne, les masculinistes ont leurs propres influenceurs. Des égéries testostéronées tel Andrew Tate, un combattant de kickboxing reconverti dans le prosélytisme antiféministe, qui a régulièrement eu affaire à la justice pour des agressions sexuelles. L’athlète fait l’apologie de la violence et définit l’écologie comme marque des hommes efféminés et dominés.

On n’oubliera pas Jordan Peterson, sorte de version intello de l’influenceur masculiniste: ce professeur de psychologie canadien, omniprésent dans la sphère médiatique via ses ouvrages, ses chaînes YouTube et ses podcasts, vilipende le féminisme moderne. «Au fur et à mesure que la demande d’égalité et l’éradication de la masculinité s’accélèrent, il y aura un désir inconscient pour l’exact opposé, déclare-t-il dans une vidéo YouTube. Plus vous criez pour l’égalité, plus votre inconscient va admirer la domination.»

Et si le masculinisme suscite surtout l’adhésion d’hommes, il est également promu par certaines femmes, à l’instar de Thaïs d’Escufon, une égérie de l’extrême droite française. Elle s’adonne au coaching en séduction pour ceux qui se sentiraient dévirilisés par le féminisme contemporain.

M comme «manosphère»

Véritable sous-culture sur internet, inspirant sites web, blogs, forums et autres communautés sur les réseaux sociaux, le masculinisme est devenu tellement foisonnant que les spécialistes lui donnent le nom de manosphère. Une sorte de dimension parallèle à notre réalité où des hommes réécrivent leur société idéale, celle d’un monde où les femmes redeviennent soumises aux mâles, car leur nature serait d’aimer se sentir inférieures.

Sur ce continent caché dangereusement réac, les incels occupent une place croissante. Ces «célibataires involontaires», comme ils se baptisent eux-mêmes, affirment que le féminisme est un mouvement hypocrite qui valorise les plus beaux mâles et prive les hommes «normaux» de la sexualité. Ils croient identifier un système social où le rôle des individus est déterminé par leur origine et leur degré de désirabilité physique.

Ce sont les «Chad», les hommes les plus attractifs, qui régneraient au sommet de cet écosystème, quelques pour cent de la population masculine totale mais qui seraient l’objet de l’intérêt exclusif de 90% des femmes. Les «Chad» se mettent en couple avec les «Stacy», les plus belles représentantes de la population féminine, empêchant ainsi les hommes normaux d’avoir accès à la plupart des femmes.

S comme «sous la loupe»

Longtemps sous-estimé car majoritairement délimité à une existence virtuelle, le masculinisme est aujourd’hui de plus en plus pris au sérieux. Le succès grandissant de ce courant interpelle ainsi autorités et universitaires, qui se mettent à scruter les rouages d’une mécanique aux conséquences potentiellement néfastes pour la société.

En 2017, la sociologue Mélanie Gourarier a publié un essai intitulé Alpha mâle (Éd. Seuil), dans lequel elle analyse l’idéologie masculiniste à l’œuvre derrière le boom du coaching en séduction destiné aux jeunes hommes. En 2023, la journaliste française Pauline Ferrari a fait paraître Formés à la haine des femmes (Éd. Lattès), une vaste enquête sur la galaxie masculiniste. Et en mai dernier, c’est cette fois un documentaire, Mascus, que le journaliste Pierre Gault a réalisé sur le sujet, après avoir infiltré pendant neuf mois ces communautés.

T comme «terrorisme»

Si le masculinisme se satisfait souvent de jouer le Calimero dans les médias, cette idéologie est cependant l’inspiratrice de plusieurs attentats terroristes ayant tué tout autour du globe. Leurs cibles principales? Les femmes.

Le premier acte de cette croisade masculiniste ultraviolente s’est joué en 1989 à Montréal, lorsqu’un homme de 25 ans tenant une arme à feu investit le campus de l’École polytechnique, décidé à éliminer les «féministes». Treize étudiantes et une employée de l’établissement tombent sous les balles.

Depuis, des dizaines de femmes sont mortes ou ont été gravement blessées dans des attaques menées par des masculinistes. En 2014, un incel frustré de 22 ans tire sur des passantes depuis sa voiture en Californie. En 2018, Alek Minassian, un homme se revendiquant incel, fonce dans la foule avec une camionnette à Toronto. Ce printemps, l’homme qui a mené une attaque au couteau dans un centre commercial de Sydney visait prioritairement les clientes. Et en mai 2024, un individu d’extrême droite de 26 ans a été arrêté près de Bordeaux alors qu’il projetait une tuerie de masse visant les femmes.  

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