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JO de Paris 2024: Récit d'une course vers la parité

«Paris 2024»: Les JO de la parité, enfin!

De g. à d. et de haut en bas: la Suissesse Magali Messmer Di Marco, médaille de bronze lors du premier triathlon des JO, en 2000 à Sidney, la nageuse australienne Fanny Durack, la marathonienne américaine Joan Benoît, la gymnaste américaine Simone Biles et la championne de 1500 m algérienne Hassiba Boulmerka.

© GETTY MUSEUM/J.PAUL - GETTY IMAGES/BETTMANN ARCHIVE/KEYSTONE FRANCE/JOE KENNEDY/MIKE HEWITT/TIM CLAYTON - KEYSTONE/FABRICE COFFRINI

Le 26 juillet 2024, la planète entière aura les yeux braqués sur Paris pour suivre l’ouverture de la XXXIIIe olympiade de l’ère moderne - des Jeux placée sous le signe de la parité puisque, pour la première fois de leur histoire, les JO compteront autant de championnes que de champions. Soit 5250 de chaque côté. Mieux encore: le 11 août, c’est le marathon féminin et non le traditionnel masculin qui viendra clore cette quinzaine de folie.

«Symboliquement, c'est une très bonne chose. Mais cela ne doit pas masquer la réalité des terrains!» remarque Lucie Schoch.

Dans le viseur de la docteure en sociologie, spécialiste des questions de genre dans le sport et enseignante-chercheuse à l'UNIL: les inégalités de traitement entre sportives et sportifs, plus ou moins marquées selon les pays, qui se matérialisent notamment au niveau des salaires ou des primes, des conditions de travail ou encore de la mise à disposition de moyens permettant aux femmes de performer autant que les hommes. Sans oublier, relève Lucie Schoch, une sous-représentation féminine dans la plupart des instances dirigeantes des fédérations nationales et internationales: «Le CIO a fixé des objectifs à ce sujet mais à mon avis, exiger des quotas serait plus efficace!»

Bref, il reste du chemin avant de pouvoir faire véritablement rimer égalité et parité… mais on garde l’espoir. Ce d’autant que «même s’il a fallu attendre 128 ans, on a un peu progressé!», sourit la chercheuse.

À ce propos… Retour sur quelques personnalités et étapes clé de cette course de longue distance semée d’embûches et d’obstacles…


1896, «célébration de la virilité»

Quand il décide ressusciter les Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle, le baron Pierre de Coubertin est formel: les compétitions seront exclusivement masculines. Dame… il ne faudrait tout de même pas gâcher cette «célébration de la virilité» avec la présence d’athlètes féminines! Et c’est ainsi qu’en 1896, à Athènes, aucune femme ne peut affirmer son talent sportif. Mais la grogne monte chez les premières féministes, qui font fléchir Coubertin. Si bien qu’à Paris, quatre ans plus tard, elles seront 22… mais cantonnées au tennis, au golf, au croquet, à l’équitation. Ou à la voile, où excelle la skipper Hélène de Pourtalès qui, avec son mari et son neveu, dispute deux courses… et remporte l’or et l’argent - ce qui fait d’elle la première médaillée olympique suisse.

Hélène de Pourtalès, la première Suissesse médaillée olympique. ©THE-J.PAUL-GETTY-MUSEUM
Hélène de Pourtalès, la première Suissesse médaillée olympique. © THE GETTY MUSEUM/J.PAUL

Le combat de la sportive Alice Milliat

Les années passent, de nouvelles disciplines s’ouvrent petit à petit aux femmes. Dont la natation, qui entre au programme des JO de Stockholm en 1912 - notamment grâce à l’insistance du prince héritier de la couronne suédoise. Des concessions sont faites, certes, mais les femmes restent privées d’athlétisme. Ce que ne supporte pas Alice Milliat - «pionnière parmi les pionnières», souligne Lucie Schoch.

Féministe et grande sportive, cette fille d’épiciers née à Nantes en 1884 n’accepte pas cette injustice faite à ses sœurs. Comme le rappelle sa biographie, publiée sur le site de la fondation qui porte son nom, elle a fait de la participation des femmes aux JO son plus grand combat et demande donc à Coubertin de réparer cette inégalité. Des refus secs et sonnants lui sont opposés - et que les citoyennes aient montré leur valeur et leur courage pendant la Première guerre n'y change rien.

Réponse à cette discrimination olympienne: Alice organise les premiers Jeux mondiaux féminins à Paris, en 1922.

Or, le succès est au rendez-vous et, à leur grand désarroi, Coubertin et sa clique, constatant que le vent est en train de tourner, réalisent qu’ils n’ont plus d’autre choix que de céder un (tout) petit bout de terrain. Mais ils étaient loin d’imaginer qu’aujourd’hui, la charte olympique rend obligatoire la présence des femmes dans tous les sports, y compris la boxe!

Des coureuses victimes de sexisme

Aux Jeux d’Amsterdam, en 1928, mis sous pression, le Comité olympique inscrit donc le 100 m, le relais 4 × 100 m, le saut en longueur, le lancer du disque. Et le 800 m, une épreuve remportée par l'Allemande Lina Radke.

À son corps défendant, celle-ci provoque un scandale médiatique. En cause: son «manque de féminité» (sic) qui la fait même soupçonner d’être un homme. Inutile de dire que ce bad buzz fait les affaires des sexistes du CIO de l’époque qui, trop contents, en rajoutent une couche en prétendant fallacieusement que plusieurs coureuses se sont effondrées d’épuisement avant d’avoir franchi la ligne d’arrivée: s’appuyant sur la médecine (milieu alors essentiellement masculin, est-il utile de le préciser?!), ils décrètent qu’une femme, fragile par essence (bien sûr!), ne peut courir «de telles distances» sans risquer de provoquer un décrochement de l’utérus et, au motif de les protéger, les privent de toute participation à des épreuves de fond ou de demi-fond.

Une discrimination qui perdure des décennies: le 800 m ne sera réintroduit qu’en 1960 et il faudra attendre les Jeux de Munich de 1972 pour que des femmes puissent concourir sur le 1500 m et ceux de Los Angeles en 1984 pour que le mythique marathon s’ouvre enfin à elles.

Joan Benoît, médaille d'or du premier marathon féminin de l'histoire en 1984, à Los Angeles. ©GETTY-IMAGES-JOE-KENNEDY
Joan Benoît, médaille d'or du premier marathon féminin de l'histoire en 1984, à Los Angeles. © GETTY IMAGES/JOE KENNEDY

À noter, dans la même veine protectrice, que la boxe n’a été jugée dans les cordes des femmes qu’en 2012, à Londres… après qu’il a pu être démontré que sa pratique n’empêchait en rien un femme de devenir mère!

1968, le début des tests de féminité...

Vous avez dit discrimination? Il y a pire. À savoir les «tests de féminité», imposés aux athlètes de 1968 à 1996: «Ils ne sont plus pratiqués systématiquement, mais le problème n’est pas résolu pour autant, explique Lucie Schoch. Aujourd’hui, ils sont effectués quand il y a un doute visuel sur l'identité sexuelle de l'athlète. En clair, quand une sportive est trop performante, trop musclée ou a une voix trop rauque, par exemple, elle peut être testée.» Elle ajoute:

«C'est d’autant plus contestable que cela ne prend pas en compte l’intersexualité, qui est une réalité biologique bien plus complexe que simplement XX ou XY et la recherche montre qu'on ne peut pas catégoriser femme - homme de façon si tranchée!»

Comme symbole de cette complexité, on peut citer la Sud-Africaine Caster Semenya, double championne olympique du 800 m, chez qui un taux de testostérone particulièrement élevé a été détecté. Or, en 2018, World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme, a imposé aux sportives hyperandrogènes de faire baisser leur taux de testostérone par un traitement hormonal pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. L’athlète a refusé, se voyant de facto interdite de tartan. Elle a évidemment fait recours de cette décision.

Depuis, invoquant notamment des discriminations et une violation de sa vie privée, elle se bat et remue ciel et terre au nom de toutes les athlètes «beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense», souligne Lucie Schoch, qui se trouvent devant le même dilemme qu’elle: «Sauvegarder leur intégrité et leur dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition» ou courir mais «subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif». En mai 2024, elle a d’ailleurs à nouveau plaidé sa cause devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui livrera un jugement définitif dans les mois à venir.

... des contrôles anti-dopage

Si la médecine n’a cessé de compliquer la vie des femmes athlètes pendant des décennies, notamment pour les questions de résistance, de maternité ou encore par les tests de féminité et contrôles de taux hormonaux évoqués plus haut, elle a carrément été meurtrière quand il s’est agi de dopage. En 1968, encore, le CIO officialise les contrôles antidopage, poussant ainsi indirectement les chercheurs à élaborer les produits les plus indétectables possibles. Ce qu’ils font… mais sans tenir compte des spécificités biologiques féminines. Or, à physiologie différente, réactions différentes. Résultat: des ravages et dégâts bien plus importants que chez les hommes. La mort à 38 ans de la triple championne olympique américaine Florence «Flo-Jo» Griffith-Joyner serait ainsi liée à l'abus de substances dopantes.

Fort heureusement, là aussi, les choses évoluent et la santé des femmes dans le sport est mieux appréhendée à tous niveaux - qu’il s’agisse de nutrition, de médication ou de programmes d'entraînement.

… mais aussi une année à symboles

Si 1968 a été marquée par le lancement des «tests de féminité», ils ont aussi valeur de symbole puisque, grande première de l’aventure olympique, deux femmes ont été mises à l’honneur lors des cérémonies officielles. C’est en effet la coureuse mexicaine Enriqueta Basilio qui a allumé la vasque, et la fabuleuse championne de natation Christine «Kiki» Caron qui conduit la délégation française. A noter qu’il faudra attendre 1996 pour que la France rechoisisse une porte-drapeau, l'immense championne Marie-José Perec…

Instrumentalisation du corps

Si les premières athlètes féminines sont vêtues de simples shorts et maillots comme leurs homologues masculins, elles vont bientôt devoir revoir leurs tenues. Lesquelles, sous la pression des fédérations et/ou de sponsors équipementiers, vont progressivement se faire plus moulantes et sexy - à l’image du bikini des volleyeuses. Plus pratique et adapté pour elles, se justifie-t-on dans les instances dirigeantes. Évidemment, il n’en est rien. Cette instrumentalisation du corps a un but principal: attirer le regard lors des retransmissions TV - et donc gagner en valeur marchande. CQFD.

Les choses sont pourtant en train de changer, se réjouit Lucie Schoch: «Lors de la dernière olympiade, des athlètes ont commencé à s’insurger et à revendiquer parce qu’elles en avaient assez de porter des tenues hyper-échancrées ou blanches - une couleur franchement pas… pratique, dirons-nous!»

Combats politiques

Bien qu'officiellement politiquement neutres, les JO n’en ont pas moins permis à des athlètes de porter haut leur voix, leurs combats et leurs convictions. Des exemples? En 1968, à Mexico, en signe de désapprobation suite à l’invasion de son pays par l’armée de l’URSS, la gymnaste tchèque Vera Caslavska détourne ostensiblement la tête lorsque retentit l’hymne soviétique qui salue la Russe Larissa Petrik avec qui elle partage sa médaille d’or.

En 1992, à Barcelone, l’Ethiopienne Derartu Tulu et la Sud-Africaine blanche Elana Meyer, 1re et 2e du 10  000 m, effectuent un tour d'honneur main dans la main, un an après l'abolition de l'apartheid. La même année, l’Algérienne Hassiba Boulmerka, victorieuse du 1 500m, manifeste sa joie par un cri et les bras levés - comme un défi émancipatoire au Front islamique du salut qui, au lieu de la féliciter, la menace pour «avoir couru à moitié nue devant le monde entier». Par peur d’être assassinée (exécutée serait plus exact), elle part en exil quelques années. Aujourd’hui de retour en Algérie, elle milite activement pour les femmes - notamment au sein du Comité olympique algérie dont elle est devenue vice-présidente!

Quelques chiffres…

Le programme de «Paris 2024» comprend 152 épreuves féminines contre 157 masculines (et 20 mixtes) et 28 sports sur 32 sont totalement paritaires. Un déséquilibre qui va dans les deux sens: si la lutte gréco-romaine restera l’apanage des hommes, la gymnastique rythmique appartient à 100% aux femmes! À noter, encore, que sur les 4400 athlètes participant aux Jeux paralympiques, on ne compte que 1859 femmes – une non-parité qui s’expliquerait par manque de compétitrices dans certaines disciplines. On espère donc que les fédérations nationales feront désormais le nécessaire…

Jeux olympiques d'été de 2024, du 26 juillet au 11 août 2024.

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