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Et si les femmes et les chiens étaient liés par bien plus qu'une simple compagnie? En avril 2024, la talentueuse Ovidie, réalisatrice et autrice française, frappe fort avec son nouvel ouvrage Assise, debout, couchée (Éd. JC Lattès) en explorant ce lien étonnamment profond. Victimes d'une société dominée par le patriarcat et le capitalisme, ces deux êtres développent une connexion puissante et inattendue. Ovidie nous entraîne dans une analyse audacieuse où femmes et chiens deviennent mutuellement protecteurs, formant une alliance révolutionnaire. Une réflexion qui bouscule nos perceptions et redéfinit la complicité entre l'humain et l'animal.

FEMINA Dans votre ouvrage, vous établissez un lien entre les violences subies par les femmes et celles infligées aux chiens. Comment en êtes-vous arrivée à ce constat?
Ovidie J'ai toujours ressenti cela de manière instinctive, sans nécessairement chercher à objectiver ce que je pouvais percevoir. Malheureusement, les statistiques corroborent mes impressions: nous avons observé une explosion des violences intrafamiliales durant le confinement, et les premières victimes collatérales étaient souvent les chiens.

Une femme subissant des violences de la part de son compagnon a cinq fois plus de chances de voir son chien maltraité. Cela m’a confirmé le lien entre les violences faites aux femmes et celles faites aux chiens.

Finalement, le chien devient le compagnon de souffrance des femmes. Et si le chien était leur meilleur ami finalement?
Je suis convaincue que le chien est effectivement le meilleur ami des femmes. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il soit un mauvais compagnon pour les hommes, mais j'ai l'impression que nous n'avons pas les mêmes motivations pour avoir des chiens.

C’est-à-dire?
Lorsque je dis que le chien est le meilleur ami des femmes, je pense qu'il représente un rempart contre les violences masculines. Je pense aux femmes en situation de grande précarité, celles qui vivent dans la rue ou celles qui ont besoin de leur chien pour se sentir moins seules la nuit ou pour se promener en forêt.

Au début de votre livre, vous évoquez également le rôle protecteur du chien. Vous mentionnez notamment un exemple marquant de votre enfance, lorsque votre mère vous demandait de prendre le chien avec vous lorsque vous sortiez...
Effectivement, quand j'étais enfant, j'avais un gros patou qui m'accompagnait partout. Il s'appelait Eddy et pesait environ soixante kilos. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas d'un chien de berger, mais d'un chien de montagne des Pyrénées, chargé de protéger les troupeaux contre les prédateurs. C'est fascinant de voir comment cet animal m'a protégée des hommes, tout comme il aurait protégé une brebis d'un loup.

Pourquoi aviez-vous besoin d’être constamment en présence de votre chien?
Quand j'étais adolescente, on ne parlait pas encore des Émile Louis, Michel Fourniret ou Marc Dutroux. On ne mettait pas en garde les jeunes filles contre les dangers. Aujourd'hui, on parle de harcèlement de rue, on avertit ses enfants, etc...

Emmener le chien était une manière de prévenir les potentiels dangers. Prendre cette décision d’être accompagnée d’un chien, c'est choisir d'être protégée par lui.

Mais alors, qu’en est-il des petits chiens, souvent adoptés par des femmes âgées, races qui ne brillent pas nécessairement par leur capacité à défendre?
Peu importe la taille du chien, ce qui compte, c'est de ne pas être seule face aux dangers. Parfois, en forêt, je croise des femmes plus âgées avec de petits chiens. La présence de leur animal les rassure. Ces femmes n'ont pas peur, même si leur toutou ne pourrait pas faire grand-chose en cas d’agression.

Vous qui avez trois grands chiens, imaginez-vous un jour adopter un roquet?
Comme beaucoup de personnes ayant de grands chiens, j'ai toujours souri en voyant les dames âgées avec leurs yorkshires, me disant que jamais je n'en aurai un. Mais un jour, en sortant de chez le vétérinaire, j'ai dû porter mon dogue de Bordeaux pour le mettre dans la voiture après une opération. Cette expérience m'a fait comprendre qu'il viendra un moment où je n'aurai plus la force suffisante pour avoir un chien de 50 kg. Je comprends maintenant pourquoi elles choisissent des races plus petites. Et oui, peut-être qu'un jour, je serai cette dame-là.

Ovidie: «Le chien est le meilleur ami des femmes»
En plus de Brünnhilde, Ovidie détient deux autres chiennes: Alaska et Freyja ainsi qu'un chat prénommé Georges. ©OLIVIER ROLLER

C’est intéressant de voir qu’une bête peut aussi représenter une contrainte en termes d'autonomie...
En effet, c'est paradoxal. Le chien apporte une autonomie en termes de défense: je n'ai jamais peur d'être seule dans ma maison la nuit, car personne n'oserait entrer sachant que j'en ai trois. Mais il apporte aussi une certaine liberté affective puisque les femmes qui ont un animal en font une priorité et ne ressentent peut-être pas le besoin de se trouver un mec. Cependant, le jour où je n'aurai plus la force de mettre mon chien de 50 kg dans la voiture, je serai potentiellement à nouveau dépendante d’un homme. Si cette fois je m’en suis sortie seule, je sais qu'un jour, il faudra que je fasse demi-tour, que j'aille voir le vétérinaire, qui est un homme, afin de lui demander s’il est d’accord de venir m’aider…

En parlant de ce rôle de protecteur, j’imagine que vos chiens ont représenté bien plus dans votre vie, je pense notamment à Raziel, dont le décès vous a profondément marquée.
Écrire ce livre m'a permis de faire enfin mon deuil. Cela faisait onze ans que je n'avais pas digéré cette perte. J'étais encore dans ce doute… Était-ce le bon moment pour l'euthanasier? Était-ce trop tard? N’avais-je pas trop attendu? Et à contrario, il y a certains jours où je me réveillais en me disant que peut-être qu'il aurait pu tenir une semaine, deux semaines, trois semaines de plus... Je me suis aussi beaucoup questionnée sur ce droit de vie et de mort sur ce que je considérais comme étant mon meilleur ami. Qui suis-je pour le trahir? Il faut savoir que si on parvient à poser un cathéter et faire une injonction létale à son animal, c’est bien parce qu’il nous fait confiance et se laisse faire.

Qu’est-ce qui aurait pu vous aider à faire votre deuil plus rapidement?
J'étais tellement dévastée que j'aurais eu besoin d'un soutien psychologique, voire médicamenteux. Mais la société impose de reprendre rapidement une vie normale. Le soir-même, j'ai dû aller chercher ma fille à la garderie et le lendemain matin, j'étais au travail.

On considère souvent la mort d'un chien comme un événement mineur, alors que pour moi, c'était une perte immense.

J’ai tout de même perdu un être qui partageait ma vie depuis des années et surtout qui était avec moi tout le temps, partout. Et il représentait aussi une sorte de marqueur biographique de mon existence.

Diriez-vous que le monde se divise en deux camps: ceux qui comprennent cette douleur et les autres?
Tout à fait. Le lendemain de la mort de Raziel, quelques personnes ont compris, mais elles étaient rares. Les autres ont fait comme si de rien n'était, certains étaient même agacés que je n'aie pas envie de sortir. J'ai aussi reçu des réflexions déplacées, comparant la perte de Raziel à celle d'une voiture, ce qui est absurde.

C’est d’autant plus difficile de faire son deuil dans un monde qui ne vous comprend pas...
Le problème est que nous ne savons pas comment gérer cette douleur. Devons-nous la camoufler ou l'assumer publiquement? Il serait nécessaire de ritualiser ce moment, de se recueillir, d'organiser un enterrement, une tombe. Aujourd'hui, on n'a plus le droit d'enterrer son chien dans le jardin, et la crémation est souvent collective, sans moment de recueillement. Pourtant, c'est un sujet sérieux qui mérite d'être pris en considération. Il y a plein de gens qui font des dépressions après avoir perdu leur animal. Jean-Pierre Hutin, le fondateur de 30 millions d'amis, le raconte dans son livre Mabrouk: chien d'une vie.

Vous trouvez que la société n’évolue pas assez concernant le deuil canin?
Pas beaucoup, bien que ces dernières années, il y ait eu des avancées. Le succès du livre Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour montre que de nombreuses personnes se sentent concernées par ce sujet. Elles souffrent en silence et n'osent pas partager cette douleur par peur de paraître ridicules. Il est également encourageant de voir des éditeurs et éditrices soutenir ce type de projet. Cela fait des années que j'essaie de proposer un documentaire sérieux sur le chien. Toutefois, cet animal n'est pas considéré comme un objet d’étude légitime.

Ces deux ouvrages que vous citez vous ont particulièrement touchée...
Oui, car les auteurs ont su mettre des mots sur un sujet tabou. Il est également intéressant de constater que ce sont deux hommes qui ont osé exprimer cette souffrance, ce qui peut être perçu comme dévirilisant. Ces livres permettent de continuer à faire vivre le chien, tout comme l'écriture de mon ouvrage et le choix de garder le nom Raziel pour mes réseaux, par exemple.

Dans votre écrit, vous mentionnez Marguerite Durand, connue pour avoir fondé un cimetière pour chiens à Paris au XIXe siècle. Il est intéressant de noter que cette initiative a été portée par une femme.
Marguerite Durand était également une féministe et la directrice du journal féministe La Fronde.

Les femmes sont-elles plus sensibles à la cause animale selon vous?
Les statistiques le prouvent: entre 68% et 80% des militant-e-s pour la cause animale, notamment canine, sont des femmes. Dans les SPA, ce sont principalement des femmes qui s'occupent des refuges.

Dans vos lignes, vous racontez également que, lorsque vous militiez dans des mouvements anarchistes, on vous reprochait de défendre la cause animale. Y a-t-il une hiérarchisation du militantisme?
Il y a cette idée que la lutte principale est celle pour l'égalité sociale, reléguant les autres causes au second plan.

On nous a longtemps expliqué que les droits des femmes pouvaient attendre. De la même façon qu'aujourd'hui, on part du principe que les droits des animaux peuvent attendre.

Lorsque j’étais dans ces mouvements-là, on se fichait un peu de moi parce que j’étais végétarienne et pour la libération animale. La défense des droits des animaux est souvent moquée ou dénigrée, considérée comme une sous-lutte pleine de sensibilité, presque comme une préoccupation féminine. En résumé, ce combat n’était pas pris au sérieux, et c’est encore le cas aujourd'hui. Du côté des militant-e-s comme des autres, on ne considère pas cette lutte comme importante ou noble.

Pour finir sur une note positive: qu’est-ce que vos chiens vous apportent aujourd'hui au quotidien?
De la joie. Je me suis rendue compte que c'était une émotion extrêmement importante. Quand je me lève le matin, que je les vois, elles sont un peu ridicules, elles dorment tête-bêche et ronflent très fort. Mes journées commencent en général avec un rire. Elles m'apportent des emmerdes aussi. En effet, une grosse partie de ma vie est structurée autour de ce qu'on va faire des chiens, qui est-ce qui les garde, à quelle heure on rentre pour les sortir. Mais par extension, cela me permet de donner un sens à ce que j’entreprends. Il y a des activités, comme marcher, qui me sembleraient complètement inutiles si je n’avais pas de chien.

Enfin, je pense que cela m'a apporté une discipline de vie. Avoir des chiens m'oblige à me lever tôt, à me coucher tôt, à manger à heure fixe, ou en tout cas, à donner à manger à heure fixe. Sans oublier qu’il faut se lever tous les jours, la grasse matinée n’existe plus. Même si je suis au fond du trou, il faut y aller. Mine de rien, dans les moments de ma vie où ça n'allait pas, le chien a joué un rôle thérapeutique parce qu'il a structuré mon quotidien. Et puis le chien ne nous laisse pas tomber. Les miennes m'apportent de la bienveillance, de la confiance et de la protection.


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