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Récit

Sexisme ordinaire: J'ai testé un atelier de défense verbale

Sexisme ordinaire: J'ai testé un atelier de défense verbale

Cet atelier propose des outils pour apprendre à prendre la parole en public et à réagir à des commentaires sexistes.

© GETTY IMAGES/MINTR

À coup de scroll sur Instagram, je découvre que le collectif Grève féministe de l'UNIL propose un atelier de défense verbale à l'occasion du 14 juin 2024, en collaboration avec le club de rhétorique de l'université (CRUEL) et la Boutique Rhétorique. Je n'étais pas familière avec ce concept avant l'an dernier, où un événement similaire figurait à l'agenda lausannois de la grève de 2023.

Pourquoi cette démarche me séduit-elle? De nature introvertie et n'ayant pas d'outil à ma disposition, je n'ai pas su pendant longtemps comment répondre au harcèlement de rue, aux blagues sexistes (et racistes, homophobes, transphobes) ou lors de discussions à propos de l'égalité femmes-hommes. Aujourd'hui, il m'arrive encore de rejouer une situation dans ma tête et de penser «j'aurais dû répondre ça». Or, l'intelligence ne vient pas toujours après coup, car la répartie antisexiste, ça s'entraîne!

Rhétorique en mixité choisie

Cette année, pas question de manquer l'atelier. Je contacte les organisatrices pour demander la permission d'y participer en tant que journaliste, convaincue que le lectorat de Femina pourrait glaner quelques précieux outils. L'atelier a lieu le matin du 14 juin, sur le campus de l'Université de Lausanne. Amphimax, salle 414. Je m'y rends un peu trop en avance, non sans une petite boule au ventre. Revenir ici me rappelle trop amèrement mes années Bachelor et je crains de ne plus m'y retrouver dans ce bâtiment froid et labyrinthique du quartier Sorge. Des années que je n'avais pas remis les pieds sur le campus et la première chose qui me frappe sont les affiches de prévention sur la santé mentale du corps estudiantin. Les mentalités ont heureusement fait du chemin depuis.

Ouf, je tombe sur un panneau qui indique la direction vers ma salle. Marie, du collectif Grève féministe de l'UNIL, et Anne-Laure, co-fondatrice de la Boutique Rhétorique, m'accueillent et je leur donne un coup de main pour agencer une partie de la 414 en U, plus engageant que les strictes alignées de tables face au pupitre. Les 13 autres participant-e-s, âgé-e-s d'une petite vingtaine d'années, font ensuite leur entrée.

L'atelier présenté par Marie, Anne-Laure et Elena, une volontaire, est organisé en mixité choisie, sans homme cis, afin de proposer un espace solidaire d'écoute et de bienveillance. On présente nos attentes et notre expérience de prise de parole au quotidien en tenant compte de notre genre. Plusieurs personnes abordent la question des blagues sexistes, qui les laissent souvent démunies.

Anne-Laure enchaîne avec une première partie théorique, en expliquant qu'il faut choisir ses combats. «Parfois, on n'a pas l'envie ni l'énergie de se défendre. Il faut accepter de ne pas toujours avoir gain de cause.» Puis, elle présente à l'assemblée quelques outils de linguistique pour nous entraîner à mieux aborder une discussion ou un débat problématique, voire carrément hostile, sur les questions d'égalité.

Théorie: la prise et la conservation de la parole

On commence par la prise de parole, souvent compliquée lorsqu'on est une femme, car la personne qui parle le plus fort et le plus longtemps parvient à s'imposer (généralement des hommes). Anne-Laure explique qu'on ne peut ignorer une personne qui souhaite s'exprimer, que dès lors, négliger l'attitude corporelle et les tentatives de prise de parole est un choix délibéré. «Pour se défendre dans un tel contexte, on peut faire remarquer qu'on a été coupée ou ignorée», propose-t-elle.

Petit exercice pratique: on s'exerce en duo à l'interruption et à la conservation de la parole. Ma voisine Tiffany se tourne vers moi avec le sourire. Elle déblatère à propos du dernier film qu'elle a vu et j'essaie d'en placer une, puis on inverse les rôles. L'expérience est risible, pas naturelle et affreusement gênante. «On se rend compte que dans une telle situation, ni l'une ni l'autre ne s'écoute», avance une participante lors du débrief.

Anne-Laure poursuit avec ses slides, nous enjoignant à faire attention aux autres en offrant la parole à celles et ceux qui sont ignoré-e-s dans une conversation (d'un regard, ça marche aussi), peut-être à dénoncer la situation verbalement, et à prendre à témoin quelqu'un si on ignoré-e. Enfin, la spécialiste de la communication présente le dernier outil: quitter une conversation lorsqu'elle est problématique ou hostile. «C'est la chose la plus violente qu'on puisse faire en communication. Mais ça demande de pouvoir se déplacer physiquement, ce qui n'est pas toujours possible», précise Anne-Laure. Elle propose aussi des alternatives, moins radicales, comme ignorer les propos problématiques ou essayer de détourner le sujet de la conversation.

Pratique: l'argumentation, la défense et la confrontation

La théorie terminée, place aux travaux pratiques. L'assemblée est divisée en trois groupes et nous passons au poste de chacune des animatrices. Je rejoins 4 jeunes femmes auprès d'Elena, qui présente «la confrontation». Petit hic, pour entamer une conversation conflictuelle, il faut être calme: «Ce n'est pas productif d'être dans l'hostilité», avertit Elena, mais certaines participantes semblent sceptiques. L'une raconte qu'elle se met rapidement en colère lorsqu'elle se sent agressée verbalement par des propos sexistes. Aurais-je été plus agressive si j'avais enfilé les lunettes féministes à son âge?

Elena liste des outils à utiliser dans une situation conflictuelle: décrire le comportement qui dérange, notre ressenti face à ce comportement, ôter du poids à la parole de l'autre en répondant: «C'est ton opinion.», questionner les motivations ou la façon de penser de l'interlocuteur, ignorer ou trouver du soutien autour de soi.

Avec Marie, nous apprenons la «défense sémantique». La membre du collectif Grève féministe présente une manière de déstabiliser et faire remettre en question ses propos à son interlocuteur, en faisant mine de ne pas comprendre ce qu'il affirme pour le mener à expliquer son raisonnement. Une amie me confiait un jour réagir de cette manière face aux blagues sexistes.

Enfin, on apprend la «stratégie argumentative» auprès d'Anne-Laure. L'animatrice propose trois manières d'aborder l'argumentation: déconstruire les propos de l'interlocuteur, seulement accepter ses propres valeurs comme point de départ ou alors laisser l'autre exposer son raisonnement. On s'entraîne ensuite en groupe à répondre à quelques clichés sexistes, mais on sent une certaine lassitude chez les participantes. Je demande si la charge éducative doit toujours retomber sur les féministes, mais personne n'a vraiment de réponse.

Quand la colère laisse place à la sororité

Au terme de l'atelier, je discute avec Em, 20 ans et Lise, 24 ans, qui me confient leurs impressions. «C'est un refresh de techniques que je connaissais déjà, commence Em. Je trouve fatiguant de faire de l'éducation sur l'égalité, mais le travail est gratifiant lorsque j'argumente auprès de mes ami-e-s.». «Je trouve que ça aide d'avoir des descriptions théoriques de ces outils. Sur le moment, dans une discussion sexiste, on se sent désemparée et on n'a pas le réflexe d'argumenter», enchaîne Lise. Cette étudiante en sciences sociales estime toutefois que les mentalités ne changeront pas si des cours d'égalité ne sont pas intégrés dans le système scolaire. «J'aime aussi cet espace en mixité choisie, où on se sent à l'aise pour partager nos expériences.»

C'est la première fois que je participe à un événement organisé sans homme cis et je réalise qu'il y a peu d'opportunités d'échanger entre personnes sexisées à propos des discriminations que l'on vit au quotidien. La solidarité transparaît dans les moments de partage de témoignages. Même si une bonne partie de l'assemblée ressent de la colère et de la lassitude face aux comportements sexistes, mettre en commun sa frustration et imaginer des solutions permet de se donner de l'espoir. Finalement, je reprends le métro avec le sourire aux lèvres et reboostée pour aller manifester en violet dans les rues lausannoises.

Interview d'Anne-Laure Sabatier, créatrice de l'atelier

FEMINA Dans quel cadre avez-vous imaginé ces ateliers de défense verbale?
Anne-Laure Sabatier Étudiante en linguistique à l'UNIL, je faisais partie de l'association Le CRUEL. Avec mon compagnon, nous avons été engagé-e-s comme collaboratrice et collaborateur de l'université pour donner des ateliers de rhétorique dans des classes de secondaire I et il y avait beaucoup de demandes! Lorsqu'on a terminé nos études, nous ne voulions pas abandonner cette activité, donc nous avons fondé la Boutique Rhétorique en 2023. Nous proposons des ateliers pour apprendre à s'exprimer en public.

La dimension genrée n'a donc pas toujours fait partie du projet.
Non, la première fois que j'ai ajouté à mes ateliers d'outils linguistiques la perspective sociologique du genre, c'était à l'occasion du 14 juin 2023. J'ai adoré ce projet et j'ai donné des formations similaires à la demande d'associations ou d'entreprises.

Pourquoi est-ce important pour les femmes de pouvoir se défendre verbalement?
Mon expérience des milieux associatifs m'ont montré que ce sont généralement les hommes qui prennent la parole. Moi, je devais toujours produire un effort supplémentaire. Les études en linguistique prouvent aussi qu'on surestime le temps de parole des femmes dans un groupe mixte, car notre perception est faussée. En résumé, les femmes n'ont pas le même droit à la parole dans l'espace public, mais il est possible de changer les choses avec de bonnes armes.

Quels sont les défis de la rhétorique antisexiste dans le monde professionnel?
Ma conclusion est pessimiste: il est très difficile de casser les codes dans un cadre professionnel si on veut conserver son emploi ou sa réputation. Mon conseil est donc de peser les avantages et les inconvénients, mais aussi de jouer selon les règles du système patriarcal, c'est-à-dire de parler plus fort, etc., chose qu'il faut assumer ensuite. On peut aussi choisir de rire bêtement aux blagues et remarques sexistes pour être tranquille, c'est OK. Trouver des allié-e-s - même discret-e-s - est également important, ça aide à tenir.

Voulez-vous partager des ressources pour s'entraîner à la répartie féministe?
J'aime beaucoup le compte Instagram @Punchlinettes, mais aussi @Lesfleministes, qui explique les enjeux sexistes dans des situations, ou encore @Je.suis.im.pertinente, qui propose des chroniques féministes. Le fait de lire des propositions de répartie permet d'entraîner notre cerveau à sortir des réponses aux remarques sexistes le moment venu.

Que diriez-vous aux femmes qui, même en possession d'outils de rhétorique, n'osent pas se défendre?
Que c'est légitime! C'est normal de ne pas vouloir répondre quand on se trouve dans une situation d'inconfort ou d'injustice.

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