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Embaumeuse et brocanteuse, elle chine dans toute l'Europe

Embaumeuse et brocanteuse elle chine dans toute leurope

«Je vends des objets poétiques, qui ont du charme, qui suscitent la curiosité», confie la brocanteuse et thanatopractrice romande Florence Nack.

© SOPHIE BRASEY

J’ai grandi à Aubonne dans une grande et ancienne maison de famille, des horlogers de père en fils sur cinq générations. Il y régnait durant mon enfance une atmosphère assez austère, due à des convictions familiales religieuses conservatrices et strictes.

Le grenier, dans lequel une multitude d’objets hétéroclites avaient été entassés au fil du temps, était vite devenu mon refuge. J’y passais des heures à créer des mises en scène avec ce que j’y trouvais. Dans la pénombre, au milieu de la poussière, je voyais la beauté partout. Pour compenser les interdits familiaux, je développais ma créativité. L’imaginaire n’avait pas de limites. J’ai toujours cultivé ce goût du rien qui ouvre la porte du tout.

J’ai eu par la suite l’opportunité d’entrer à l’École supérieure d’arts appliqués de Genève, au sein de laquelle j’ai affirmé cet attrait pour l’équilibre des formes, des couleurs et des matières, me spécialisant en architecture d’intérieur. Créer des mises en scène, c’est chercher l’équilibre à travers une sensation. C’est raconter une histoire en stimulant et interrogeant le regard. À cette époque, j’ai commencé à faire des marchés le week-end avec des objets chinés.

Une maison de famille comme un refuge

Dans la foulée, à 19 ans, je suis devenue maman, une fois, deux fois, trois fois. Trois filles. Un univers de femmes. Une expérience riche, forte de transmission, d’effets miroir, de questionnements.

Cette maison de famille dans laquelle je vis aujourd’hui encore est un personnage à part entière. Une sorte de refuge. Je me la suis appropriée, ai ouvert ma boutique qui donne sur la rue. Je me retrouve dans les objets fêlés, patinés, rouillés, peut-être parce que j’y projette une partie de ma vie. Les fêlures donnent de la beauté aux choses et aux êtres. Les clients qui entrent dans mon magasin ont souvent envie de poser leur sac, enlever leur veste, chercher une chaise pour s’asseoir et discuter. Les murs résonnent de tous ces objets qui ont une histoire de vie et des gens qui viennent y déposer la leur.

Je chine un peu partout en Europe, particulièrement en France et en Belgique. Je prends ma voiture, j’avale les kilomètres, je cherche une chambre et me lève très tôt pour être sur les marchés avant le lever du jour, toujours animée par cette même passion pour la chasse au trésor depuis toutes ces années. Je vends des objets poétiques, qui ont du charme, qui suscitent la curiosité. Un coup de cœur, ça se quantifie difficilement.

Mon but, c’est que les choses circulent et se transmettent. Je propose souvent à mes clients de m’envoyer une photo de l’objet lorsqu’il a trouvé sa place. Savoir d’où il vient et où il va me fait vibrer.

Accompagner le moment du deuil

Parallèlement à mon activité de brocanteuse, je prépare les corps des défunts et j’accompagne leurs proches à leur chevet. Un jour, je suis tombée sur le portrait dans 24 heures d’une jeune femme à la tête d’une entreprise de pompes funèbres. Je l’ai contactée et j’y ai fait un stage. Puis j’ai décidé de me former à la préparation des corps dans un établissement hospitalier. Dans notre société, le tableau autour de la mort est encore tenace. Beaucoup d’adultes n’ont jamais été confrontés à la mort de très près et ressentent une certaine angoisse à son contact, voire une peur du malheur. Pour faire ce travail, il faut avoir accepté profondément la mort.

L’accompagnement, c’est amener une forme d’apaisement. Tant que le défunt fait encore partie du monde des vivants, il peut se passer beaucoup de choses. On peut rester auprès de lui, lui parler. Les proches ont à disposition ce moment suspendu, avant que le corps parte définitivement de l’autre côté, à la crémation ou l’inhumation.

Lorsqu’on accueille une famille, on lui décrit comment elle va découvrir le défunt. Comment est son visage, comment on l’a préparé.

Souvent, les gens sont en état de choc, démunis, dévastés. Certains ont besoin de parler, d’autres simplement d’une main sur l’épaule. Il faut savoir ressentir les besoins, être intuitif, subtile et profondément humaine.

Passionnée d'humanité

On a beaucoup d’idées préconçues sur la mort. Moi je pensais un peu comme tout le monde que le deuil d’un enfant ou une mort prématurée sont plus impactants ou tragiques que la perte d’une personne âgée. Je me suis pourtant rendu compte que, quand des personnes âgées, voire très âgées, disparaissent, c’est souvent un effondrement de plusieurs générations. Ce sont des piliers autour desquels se réunissent les familles, pour les anniversaires ou les fêtes de Noël par exemple. Cette grand-maman, ce grand-papa sont parfois vraiment le phare de la constellation familiale. À leur disparition, les membres de la famille se demandent si chacun ne va pas partir de son côté. Ce n’est pas du tout anodin ces décès de personnes âgées, ça raconte beaucoup de choses sur l’importance des liens.

En résumé, j’aime les gens. Chaque vie me passionne. Chaque existence est un univers quelle que soit la personne. Il n’y a pas de petite vie. Chaque être humain est le personnage de son propre roman. L’être humain me touche infiniment. Dans tout ce qu’il a de beau comme de moins beau. J’en apprécie l’entier. Le blanc n’existe pas sans le noir. Ce sont les nuances qui font l’intensité de la beauté. À mes trois filles, j’essaie de transmettre ces valeurs de bienveillance, d’acceptation de ce qui est. Je les engage à chercher la beauté et l’humanité en tout. Même dans le chaos, la souffrance et la noirceur de ce monde.

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