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Je ne suis pas très à l’aise avec les mots

Par ler du séisme du 11 mars 2011, expliquer ce que j’ai ressenti alors, cela reste difficile aujourd’hui encore. Mon monde, c’est la musique et la peinture. C’est d’ailleurs grâce à cette dernière que j’ai réussi à exprimer, quelques mois plus tard, ma tristesse et mon incompréhension face à une catastrophe qui, je pense, aurait pu être évitée. Je suis née il y a quarante ans à Iwaki, ville située dans la préfecture de Fukushima, au nord-est du Japon. Un pays magnifique dans lequel je me suis pourtant toujours sentie à l’étroit. Très jeune, on nous apprend à nous fondre dans le moule de la conformité. La pression sociale est forte.

J’ai beaucoup souffert de ce manque de liberté et su très tôt que, si je voulais m’épanouir, j’allais devoir partir. A mes 20 ans, alors que j’étudiais à l’Université des arts de Tokyo, j’ai rencontré mon ex-mari, un Suisse. Je l’ai suivi: après avoir voyagé un an en Asie, nous nous sommes installés du côté de Saint-Gall – aujourd’hui, j’habite en Suisse romande. Le Japon? Je n’ai jamais regretté l’avoir quitté. J’y suis retournée quelques fois dont en 2010. Mes parents, par contre, sont régulièrement venus en Suisse. Plus qu’avec le pays, c’est donc avec ma famille que j’ai conservé des liens. Mais le séisme qui a touché la région en début d’année m’a fortement ébranlée.

Le jour où la nouvelle est tombée, j’ai basculé dans un autre monde

Durant deux semaines, je suis restée collée jour et nuit devant mon ordinateur pour suivre les informations. Je ne mangeais plus, ne voyais plus personne. J’étais assise ici, dans mon appartement, mais tout mon être était là-bas, avec les miens. Souffrant avec eux . Mon oncle et ma tante ont trouvé la mort dans le tsunami. La maison de mes grands-parents a été détruite. Mes parents? Je suis restée sans nouvelles d’eux pendant, il me semble, une éternité. Autant dire que la première fois que j’ai réussi à les joindre, j’ai beaucoup pleuré et surtout je les ai suppliés de quitter le pays. Chaque nouvelle catastrophe amenait son lot d’inquiétudes. J’ai passé mon temps à essayer d’appeler ma famille. C’était difficile car les communications étaient mauvaises et souvent interrompues à cause des tremblements de terre continuels.

J’ai sombré dans un abîme de souffrances, mais je me sentais surtout révoltée

On ne peut rien faire contre les catastrophes naturelles. Nous n’avons pas d’autres choix que d’y faire face au mieux. Par contre, la catastrophe de la centrale nucléaire de Daiichi (ndlr: le plus important accident nucléaire après celui de Tchernobyl, en 1986) aurait pu être évitée. Lors de sa construction dans les années septante, ma mère était enceinte de moi. Elle a manifesté avec des milliers d’habitants de la région pour dénoncer les dangers d’une telle centrale dans un pays connu pour ses tremblements de terre. Aujourd’hui, ils sont des dizaines de milliers à avoir dû quitter les zones contaminées, des dizaines de milliers à en payer le prix fort.

Là-bas, la vie a désormais repris son cours

Ma mère m’a envoyé des coupures de journaux de Fukushima pour me montrer l’évolution des travaux de reconstruction. Il reste encore beaucoup à faire. Mais mes parents ne pensent pas quitter le pays. Ce sont de vieilles personnes. Leur vie est là-bas, avec ou sans radiation. Ils essaient d’être à nouveau heureux, de reprendre une vie normale.

Depuis la catastrophe, je ne suis pas retournée dans le pays

J’avoue que je n’y ai même pas pensé. Comme je n’ai pas pensé aux risques que je pouvais encourir si un jour je songeais à m’y rendre. De toute façon, pour l’heure, ma mère ne le veut pas. Je pense que ça la stresserait. Elle préfère que je sois loin de tout ça, en sécurité. Bien que de telles catastrophes peuvent se produire partout dans le monde. De mon côté, j’ai beaucoup peint. C’est plus facile pour moi de mettre mes sentiments en image que d’en parler. Comme je suis organiste pour différentes églises, j’ai mis sur pied avec d’autres Japonais du Jura bernois un concert de charité, afin de venir en aide aux habitants de Fukushima. Depuis mon arrivée en Suisse, c’est la première fois que je me suis rapprochée de mes compatriotes. Jusque-là, je n’avais jamais vraiment recherché le contact avec d’autres Japonais, n’en éprouvant pas le besoin.

Ce qui a vraiment changé dans ma vie, c’est ma conscience environnementale

J’ai toujours été sensible à ça, mais c’est la première fois que je m’implique ainsi dans des mouvements écologiques. Ces temps, par exemple, je récolte des signatures pour une pétition visant au démantèlement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Le but ultime étant, à terme, de n’utiliser que des énergies naturelles. C’est très important que l’on agisse vite. Ce qu’il s’est passé au Japon en mars 2011 va se reproduire, j’en ai l’intime conviction: la terre est en train de bouger. Et le Japon avec sa cinquantaine de réacteurs nucléaires, répartis sur quinze centrales, est en danger. Chaque nouvelle construction va nous apporter son lot de drames. Plus concrètement, si j’ai toujours vécu simplement, je dois avouer que je prends aujourd’hui particulièrement garde à être le plus en harmonie avec la nature. Je me contente de peu. J’essaie de lutter au quotidien au travers de petites choses. Mais plus que tout, je vis chaque instant comme quelque chose de précieux. Ce qu’il s’est passé au Japon peut se produire partout ailleurs dans le monde. Nous sommes tous concernés, tous reliés les uns aux autres. Je suis persuadée qu’en commençant par soi-même on peut changer les autres et, ainsi, préserver le monde dans lequel on vit pour accéder à une vie meilleure.


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